La semaine prochaine, l’Assemblée générale des Nations unies votera pour savoir si, oui ou non, des négociations seront organisées en 2017 pour l’adoption d’un Traité d’interdiction des armes nucléaires. Malgré les tractations des pays nucléarisés, dont la Belgique, une majorité va plus que probablement se dégager en faveur du Traité.
Quels sont les arguments de la Belgique pour s’opposer à l’interdiction des armes nucléaires? Et pourquoi ces arguments ne tiennent-ils pas? Un condensé de réponse ici dans l’espoir que, la semaine prochaine, la Belgique prenne l’Histoire en marche.
L’ « approche humanitaire », une nouvelle dynamique manifestement porteuse
Depuis la conférence d’Oslo en mars 2013, une nouvelle dynamique internationale se met en place autour des armes nucléaires. Celle-ci veut mettre l’accent sur les conséquences humanitaires désastreuses de l’arme nucléaire en soulignant, notamment, qu’aucun État n’est en mesure de faire face à une déflagration atomique. L’objectif essentiel de ce nouveau mouvement est de dépasser l’immobilisme international vis-à-vis du désarmement nucléaire mondial. Une écrasante majorité d’États membres de l’Assemblée générale des Nations unies y souscrivent désormais, via l’adoption d’un « engagement humanitaire » (signé par 139 États membres). La dernière Assemblée générale a donc abouti à la création d’un « Open ended working group » (OEWG) qui vise à traiter des dispositions juridiques et des normes qui devront être conclues pour atteindre et maintenir un monde sans armes nucléaires. La volonté sous-jacente à cette initiative, partagée par les signataires de l’ « engagement humanitaire », est l’élaboration d’un Traité d’interdiction des armes nucléaires[1]. L’OEWG fonctionne en tant qu’organe subsidiaire de l’Assemblée générale.
Trois sessions de l’OEWG ont été programmées avant la prochaine Assemblée générale de l’ONU. La deuxième a eu lieu du 02 au 13 mai derniers[2]. Les discussions ont gravité autour de l’amélioration de la transparence, de la réduction du risque d’une utilisation accidentelle ou non autorisée des armes nucléaires ou encore de l’amélioration de la sensibilisation du public sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires.
Au cours de la troisième session qui s’est close le 19 août dernier, un rapport final a été endossé par une majorité de 107 États. La Belgique a voté contre ce rapport final. Celui-ci recommande à la Première Commission de l’Assemblée générale des Nations unies qui se réunira le 24 octobre et le 02 novembre prochain, d’appeler la négociation d’un Traité d’interdiction des armes nucléaires dès l’année 2017. Il est fort à parier qu’une majorité d’États membres se prononceront pour ces négociations. Et parmi eux, des États membres de l’Union européenne (Autriche, Irlande, Malte) et de l’OTAN (Norvège, par exemple).
L’interdiction internationale des armes nucléaires a également dominé les discussions à Genève. Différentes propositions étaient en effet sur la table visant à démarrer rapidement des négociations visant à couler cette interdiction dans un texte juridiquement contraignant. L’une d’entre elle était portée par 127 des 139 signataires de l’ « engagement humanitaire »[3].
Le 17 mai 2016, le Parlement hollandais a voté une motion dans laquelle elle appelait le gouvernement à plaider dans l’OEWG pour des négociations pour une interdiction internationale de l’arme nucléaire. A la fin du mois d’avril, le Ministre des Affaires étrangères hollandais Koenders a annoncé la volonté de son gouvernement de suivre les recommandations de la Chambre. Les Pays-Bas sont donc le premier État membre de l’OTAN qui entrepose des armes nucléaires américaines sur son sol à plaider pour des négociations d’interdiction de l’arme nucléaire. Le 26 Avril, le Parlement norvégien a également adopté une résolution appelant la Norvège à travailler pour une interdiction internationale des armes nucléaires.
Ce mercredi 28 septembre 2016, un groupe de pays a effectivement soumis une résolution[4] à l’Assemblée générale des Nations Unies demandant le lancement des négociations multilatérales menant à un Traité d’interdiction des armes nucléaires. Cette Résolution est signée par le Mexique, l’Autriche, l’Irlande, le Brésil, le Nigeria et l’Afrique du Sud. Les votes auront lieu les 24 octobre et 2 novembre. La résolution vise l’organisation de deux conférences de négociation de 20 jours chacune au siège de l’ONU à New York qui aboutira à un nouveau traité international interdisant les armes nucléaires. La Belgique restera-t-elle à l’écart de cette dynamique qui apparaît désormais inéluctable ?
L’approche « pas-si-progressive » d’une désormais minorité d’États
Malgré son accord de gouvernement qui stipule que « nous continuerons à soutenir toutes les initiatives internationales qui tendront à instaurer une interdiction, ou à tout le moins un meilleur contrôle des systèmes d’armes à portée indiscriminée et/ou qui ont un effet disproportionné sur la population civile », la Belgique refuse de soutenir les initiatives appelant à l’interdiction internationale des armes nucléaires. Notre pays fait en effet partie d’une petite minorité d’États qui préconisent une approche «progressive », d’« étape par étape ». Celle-ci veut se concentrer sur un ensemble de petites mesures telles que celles qui visent à accroître la transparence, à réduire le statut opérationnel des armes nucléaires, à réduire l’importance des armes nucléaires dans les doctrines de sécurité, ou encore à demander la mise en œuvre du traité d’interdiction complète des essais nucléaires.
Ces propositions ne sont pas neuves. Elles sont portées essentiellement par les puissances nucléaires et les pays qui participent à la doctrine nucléaire de l’OTAN. Voilà maintenant plusieurs décennies qu’elles sont sur la table sans être (suffisamment) suivies d’effets. Elles sont toutes à la marge des efforts de désarmement nucléaire qui devraient être consentis. Particulièrement quand de nombreux États nucléarisés mettent en place des programmes de modernisation de leur arsenal nucléaire. Le seul programme américain coûtera 1.000 milliards $ au cours des trente prochaines années. De quoi nourrir la méfiance des États non dotés d’armes nucléaires sur la sincérité de cette approche « progressive ».
Il circule cinq arguments principaux que défendent une minorité d’États pour refuser de négocier un Traité d’interdiction des armes nucléaires. Ces cinq arguments se retrouvent dans les prises de parole lors des travaux de la dernière session de l’OEWG ou dans d’autres enceintes internationales traitant des armes nucléaires (comme les conférences de révision du TNP ou la Commission du désarmement).
Argument 1 : « Un nouveau Traité n’est pas la prochaine bonne étape » La faiblesse principale de « l’approche progressive » est de ne donner aucune échéance claire vers laquelle doivent tendre les différentes mesures proposées, n’en faisant finalement qu’un ensemble d’échappatoires qui, en leur faisant gagner du temps, garantissent la position des États dotés d’armes nucléaires. Un Traité d’interdiction doit donc constituer la prochaine étape et non pas le but ultime à atteindre. Celui-ci est d’ailleurs complémentaire aux différentes mesures progressives prises en leur donnant un cadre de travail clair. Un Traité d’interdiction renforcerait en effet la stigmatisation des armes nucléaires et pousserait les États nucléarisés à entreprendre un désarmement nucléaire effectif et complet. Il conforterait le Traité de non-prolifération en donnant un nouveau souffle politique au régime de désarmement nucléaire et aurait un impact immédiat sur le financement, le développement et la modernisation des armes nucléaires. Un désarmement nucléaire complet ne peut être garanti que par l’adoption de mesures graduelles, notamment l’adoption de mesures de vérifications robustes et de mécanismes de sanctions. C’est l’objectif d’une Convention sur les armes nucléaires qui vise à détailler toutes les mesures nécessaires pour atteindre le global zero. Un Traité d’interdiction a davantage pour objectif de lui fournir un cadre politique et des objectifs clairs et quantifiables. Il peut être négocié dans un temps relativement court. Il constitue, à cet effet, une étape intermédiaire dont pourraient logiquement faire leur les tenants de « l’approche progressive », dont fait partie la Belgique.
Argument 2 : « L’approche humanitaire est importante, mais la sécurité est au moins aussi importante » Durant les débats du mois de mai de l’OEWG, le représentant de la Belgique a reconnu l’importance des conséquences humanitaires des armes nucléaires tout en déclarant que « les considérations humanitaires coexistaient avec les principes sécuritaires ». Cette discrimination est infondée. L’approche humanitaire poursuit avant tout la sécurité de tous les États, qu’ils aient la bombe nucléaire ou pas. Elle veut éviter l’effondrement du régime de désarmement nucléaire mondial ou d’une nouvelle course à l’armement nucléaire. En 1970, le TNP est entré en vigueur grâce à une double obligation : les États non dotés de l’arme nucléaire s’engageaient à ne pas en acquérir, parallèlement aux engagements des États nucléarisés d’entamer le désarmement de leur arsenal nucléaire. Durant ces 46 dernières années, donc, l’engagement non tenu des États nucléarisés a entraîné une frustration croissante de la part des États non dotés de l’arme atomique, qui ont jusqu’ici respecté leurs engagements de non-prolifération. La nouvelle dynamique internationale autour de l’engagement humanitaire est le signe de cette frustration grandissante. Or, elle est pour le moment canalisée dans la bonne direction. Un nouveau Traité interdisant les armes nucléaires veut donner une nouvelle impulsion aux États nucléarisés pour qu’ils respectent les engagements tenus au sein du TNP. Notons d’un autre côté qu’une guerre nucléaire « limitée » (dans laquelle 0,5% de l’arsenal nucléaire mondial serait utilisé) entraînerait des perturbations climatiques mondiales et aurait des conséquences catastrophiques sur la production alimentaire. Des conséquences qui impacteraient l’ensemble de la planète, dont les États qui disposent de l’arme atomique. La recherche de la sécurité commande un désarmement nucléaire. Comme le soulignait l’Ambassadeur autrichien durant les débats de la première session de l’OEWG: « Nuclear deterrence rests not only on the readiness to inflict mass destruction with global consequences, but also on the readiness and awareness to commit to an essentially – at least potentially – suicidal course of action ». Depuis 1945, de nombreux témoignages rappellent que des bombes nucléaires ont plusieurs fois failli exploser (consciemment ou de manière accidentelle). Une déflagration nucléaire a plusieurs fois été évitée de justesse. Les experts militaires avertissent également des risques d’un cyber-piratage qui viserait des armes nucléaires. Le danger d’une catastrophe nucléaire, aux conséquences humanitaires catastrophiques, est loin d’être impensable. Les armes nucléaires constituent donc un danger de sécurité réel et primordial. C’est bien dans ce sens que va le rapport[5] du think tank renommé, Chatham House quand il souligne que: « Incidents similar to those that have happened in the past are likely to happen in the future (…) For as long as nuclear weapons exist, the risk of an inadvertent, accidental or deliberate detonation remains. Given the humanitarian consequences of a nuclear conflict regionally and globally, the risks should be subjected to greater analysis and examination that currently exists ». La seule façon d’éliminer complètement ces risques est d’interdire et d’éliminer les armes nucléaires.
Argument 3 : « Un nouveau Traité n’est pas compatible avec les engagements pris au sein de l’OTAN » Les différents concepts stratégiques et déclarations finales de sommets de l’OTAN rappellent que « l’OTAN demeurera une alliance nucléaire tant qu’il subsistera des armes nucléaires dans le monde ». De son côté, la « revue de la posture de dissuasion et de défense nucléaire » de l’OTAN (DDPR, 2012) souligne que les armes nucléaires sont la « garantie suprême de sécurité des alliés ». Les deux documents rappellent en même temps que l’objectif ultime de l’Alliance est de créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires. Ces documents proposent des engagements politiques. Aucun n’est obligatoire pour les membres. Ils peuvent être adaptés, réinterprétés, dénoncés. Le seul Traité juridiquement contraignant de l’OTAN est le Traité de Washington qui créé l’alliance. Il n’y est fait aucune mention des armes nucléaires. Une étude (2014) de l’International law and policy Institute rappelle[6] d’ailleurs que l’histoire de l’OTAN est jalonnée d’exceptions ou d’exemptions accordées à des États membres autour de la politique nucléaire de l’Alliance. En 2000, la Grèce a ainsi renvoyé les armes nucléaires que les États-Unis entreposaient sur son territoire, suite à un accord bilatéral. Le Danemark, la Norvège ou l’Espagne interdisent le déploiement d’armes nucléaires sur leur territoire en temps de paix tandis que l’Islande et la Lituanie l’interdisent en toutes circonstances. Notons enfin que la Norvège, le Danemark, l’Islande et les Pays-Bas soutiennent explicitement l’approche humanitaire des armes nucléaires, bien qu’ils soient tous membres de l’OTAN. Notons enfin que le concept stratégique de 2010 prévoit des mécanismes de concertation interne afin que puisse se discuter des priorités nationales de chaque État-membre en termes de contrôle de l’armement et de désarmement.
Argument 4 : « Sans les armes nucléaires, l’OTAN est moins en sécurité » L’OTAN n’a évidemment aucunement besoin des armes nucléaires pour revendiquer sa supériorité militaire vis-à-vis de n’importe quel rival. Les États-membres de l’OTAN dépensent plus de 13 fois ce que dépense la Russie dans l’armement. Les États-membres européens de l’OTAN disposent de forces conventionnelles 3,5 fois supérieures à celles de la Russie. C’est bien l’arme nucléaire américaine qui a rendu l’OTAN moins en sécurité, pour la prolifération nucléaire qu’elle a rendu possible.
Argument 5 : « Un nouveau Traité sans la collaboration des États nucléarisés est insensé » Cet argument revient à prolonger les blocages du TNP en soulignant finalement que la communauté internationale doit attendre que les États nucléarisés soient disposés à démembrer leur arsenal. Une stratégie qui n’a porté aucun résultat positif ces 46 dernières années. Et qui n’est pas prête d’évoluer vu les différents programmes de modernisation des arsenaux nucléaires annoncés par différents États (États-Unis, France, Russie, Chine). Un nouveau traité servirait trois objectifs importants, finalement peu dépendants de la coopération des États dotés d’armes nucléaires. Tout d’abord, il proposerait une clarification juridique majeure en stipulant l’illégalité des armes nucléaires et de certaines dispositions du TNP (telle que l’interprétation arbitraire des articles 1 et 2 pour justifier la doctrine de dissuasion nucléaire de l’OTAN). Ensuite, un nouveau Traité garantira dans la norme que le seul positionnement légalement acceptable est la non-possession de l’arme nucléaire, et donc de battre en brèche la légitimité de la dissuasion nucléaire comme option acceptable et politiquement réaliste. Enfin, un nouveau Traité aurait un impact significatif sur le financement des armes nucléaires. En Belgique par exemple, si la loi interdit aux institutions financières d’investir par exemple dans le développement d’armes à sous-munitions, il n’est pas encore interdit d’investir dans l’armement nucléaire. Deux institutions financières belges et une institution franco-belge investissent encore aujourd’hui des millions d’euros dans l’arme nucléaire.
Pour une approche réellement progressive, il faut soutenir un nouveau Traité d’interdiction
La seule manière d’écarter le danger d’une guerre nucléaire est d’interdire et d’éliminer les armes nucléaires. Pour le rappeler et s’en assurer (puisque cette évidence est encore déniée dans certains pays), un Traité international d’interdiction des armes nucléaires constitue la prochaine étape logique vers l’élimination totale des armes nucléaires, à l’image des traités d’interdiction des armes chimiques et bactériologiques.
Ce Traité ne fera pas disparaître les armes nucléaires par enchantement, mais fournira un cadre clair et des objectifs tangibles pour permettre à l’ « approche progressive » de se développer plus concrètement. Un nouveau Traité donnerait un nouveau souffle au TNP et renforcerait le régime de non-prolifération et de désarmement.
139 États-membres des Nations unies veulent casser le statu quo du TNP en appelant à des négociations pour l’élaboration de ce nouveau Traité. L’Assemblée générale des Nations unies (où la majorité des voix est déjà largement assurée) lancera probablement le processus à la fin de l’année 2016. Avec ou sans les États nucléarisés et leurs alliés.
La modernisation annoncée (d’ici à 2020) des têtes nucléaires B-61 américaines stationnées à Kleine Brogel (et donc le transport de ces ogives jusqu’aux États-Unis) ainsi que la décision sur le dual use des potentiels remplaçants des F-16 offrent deux opportunités à la Belgique de s’inscrire dans le sens de l’histoire et de se positionner à la pointe du travail pour l’élimination totale des armes nucléaires, comme elle l’avait fait par exemple pour les bombes à sous-munitions.
En tout logique et à tout le moins, nous espérons que la Belgique revoit rapidement son positionnement vis-à-vis de cette nouvelle approche humanitaire et adoptera un positionnement constructif et positif lors du prochain vote de l’Assemblée générale de l’ONU et lors des négociations qui s’annoncent pour l’année prochaine.