L’OTAN lance cette année un chantier de refondation de son « concept stratégique »¹, qui sera entérinée au sommet de Lisbonne du mois de novembre. La première étape de cette refondation vient de s’achever avec la parution des recommandations du groupe de 12 experts dirigé par Madeleine Albright². Les enjeux et les conséquences qui en découlent sont immenses.
Le concept stratégique défini en 1999 avait déjà permis une transformation radicale de l’OTAN. Alliance militaire défensive à sa création, elle était devenue une organisation de «gestion de crise». S’en sont suivies des interventions offensives massives à « caractère exceptionnel » et sans autorisation préalable de l’ONU qui ont provoqué des milliers de morts en Serbie et en Irak, puis en Afghanistan et plus récemment au large de la Somalie.
Le « groupe des 12 » entend aller encore plus loin dans la transformation de l’Alliance. Parce que l’identité intrinsèque de l’OTAN serait, selon le rapport, « une organisation qui donne du muscle et du nerf aux idéaux démocratiques », les recommandations sont pléthores pour garantir à l’Alliance son rôle de moteur dans la stabilité et la paix internationales. Pour ce faire, l’OTAN devrait renforcer les prérogatives qu’elle ne permettrait pas aux autres, notamment sa capacité à intervenir en dehors de son territoire. Ce point se retrouvant dans chacun des paragraphes de la première partie du rapport. D’exceptionnelle à partir de 1999, cette capacité deviendrait la règle. L’OTAN pourrait ainsi s’arroger le droit d’intervenir aux quatre coins du globe et s’attribuer le rôle de gendarme au service de ceux qui la commandite. Manifestement, l’OTAN continue de concentrer son action sur un adage bien connu mais ô combien contre-productif : la meilleure des défenses, c’est l’attaque. La diplomatie du fusil n’a jamais fonctionné ; l’Histoire nous montre qu’elle finit toujours par se retourner contre ceux qui la développent. La rhétorique agressive du rapport du groupe d’experts sape toute possibilité de dialogue et de règlement diplomatique des différends. L’OTAN se pose ici en dominateur, alimentant nécessairement la rancœur de ceux qui sont implicitement visés par leur analyse.
Le « groupe des 12 », faisant d’ailleurs écho à l’analyse de Monsieur Rasmussen, Secrétaire général de l’OTAN, veut également profiter de l’occasion offerte par la refondation du concept stratégique pour réformer en profondeur le fonctionnement de l’Alliance pour « une organisation plus légère, réactive sur le plan décisionnel, plus efficace et efficiente ». Cette réforme passerait notamment, selon Monsieur Rasmussen, par l’institutionnalisation d’un financement commun (en commandant en outre une augmentation de 20% du financement par chaque État-membre). Ainsi, la Belgique pourrait marquer son opposition à une éventuelle intervention, mais y participerait de facto financièrement. Une Alliance « plus réactive sur le plan décisionnel » n’est donc bien évidemment pas souhaitable. Tout d’abord parce que le débat démocratique sur les décisions de l’OTAN, déjà quasiment inexistant dans notre pays, n’y survivrait pas. Ensuite et surtout parce que les décisions que l’Alliance a à prendre concernent des milliers de vies humaines et les possibilités de développement économique et humain des différentes régions de la planète.
Comment pourrions-nous « alléger » ce type de décisions ? Les décisions de l’OTAN se prennent au consensus. Il ne pourrait en être autrement.
De quel droit et sur quelle base l’OTAN pourrait s’arroger le rôle de défenseur de la paix internationale (paix qu’elle voit uniquement, d’ailleurs, comme le silence des canons) ? Il est désespérant de constater, continuellement, que l’agressivité reste le seul mode de discours. La paix ne peut s’installer durablement que par le rapprochement et le dialogue d’égal à égal. Le droit à la sécurité des membres de l’Alliance est aussi important que celui des autres membres de la planète. Il faut donc penser sérieusement et durablement l’institutionnalisation d’un droit international auquel chacun serait soumis et le développement sincère du forum des peuples que constitue l’ONU.Cette dernière est d’ailleurs reléguée au rang de « partenaire ». Sans que plus aucune mention ne soit faite de la fonction institutionnelle supérieure de l’ONU, l’OTAN se dit simplement « sensible » à l’ « esprit » de la Charte.Il est impératif que les Parlements belges et européen se saisissent de l’évolution de toutes ces discussions et que l’opinion publique en soit informée. Le processus est nécessaire mais ces questions fondamentales qu’il engage ne peuvent se résoudre dans l’urgence. La démocratie ne peut être à ce point instrumentalisée.
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