Les 17 et 18 juillet derniers, la CNAPD a participé au Sommet des peuples 2023, une rencontre alternative au sommet UE-Celac qui se tenait au même moment à Bruxelles. L’occasion d’un échange essentiel entre les perspectives du Nord et du Sud sur les questions du commerce mondial, de la solidarité internationale ou encore de la paix. Voici le discours qu’y a prononcé le Coprésident de la CNAPD Gregory Mauzé lors du Festival de la solidarité culturelle entre les peuples d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Europe.La CNAPD, pilier historique du mouvement pour la paix en Belgique, se réjouit de la tenue de ce contre-sommet des peuples. Depuis notre création il y a un demi-siècle, nous avons toujours accordé une importance centrale non seulement à la solidarité avec le Sud Global, mais également au dialogue avec lui, sur un pied d’égalité. Il est en effet de la responsabilité des sociétés européennes de rompre avec le paternalisme qui caractérise jusqu’à aujourd’hui leur rapport au reste du monde. La nécessité de nous montrer davantage à l’écoute des voix du Sud nous semble aujourd’hui d’autant plus impérieuse dans le contexte géopolitique explosif actuel. En effet, la guerre d’agression déclenchée par le régime russe contre l’Ukraine a conduit chez nous à une inquiétante baisse de notre niveau de vigilance démocratique.L’ « union sacrée » autour de la nécessaire condamnation de cette agression barbare et du soutien tout aussi nécessaire au peuple ukrainien a ainsi servi à réduire au silence tout discours un tant soit peu critique en la matière. De fait, évoquer les responsabilités des pays occidentaux dans l’aggravation des tensions qui ont permis ce désastre est désormais pratiquement inaudible. Par extension, il est virtuellement devenu impossible de contester l’hypocrisie du bloc euroatlantique, lequel s’érige aujourd’hui en premier défenseur d’un ordre international basé sur des règles, que nous avons pourtant été les premiers à bafouer ailleurs. Plus question non plus de remettre en cause le réarmement à marche forcée du Vieux Continent, réalisé au détriment de la transition sociale et écologique.Quant à l’OTAN, elle fait désormais figure de totem intouchable, dont la prétention à jouer le rôle de gendarme du monde ne peut plus souffrir d’aucune contestation. Dans l’indifférence générale, elle s’arroge ainsi de nouvelles prérogatives toujours plus éloignées de la charte des Nations Unies. Son rêve d’un système international au service exclusif de ses propres intérêts semble plus réaliste que jamais.Ce climat délétère, malheureusement entretenu par certains progressistes, n’est pas de nature à mettre fin aux souffrances de la guerre ou à régler les causes structurelles de celle-ci. Il nous éloigne de l’indispensable architecture de sécurité collective en Europe, dans laquelle la sécurité de l’un ne serait plus conçue au détriment de celle de l’autre.L’urgence est donc de décloisonner notre regard sur ce conflit dont nous sommes partie prenante. Pour nous y aider, qui de mieux placés que les peuples du Sud, en particulier latino-américains ? Eux qui ont été parfois profondément meurtris par le même impérialisme étatsunien sur lequel on nous demande aujourd’hui de nous aligner? Il faut saluer à cet égard les tentatives de médiations esquissées notamment par le Président brésilien Lula, qui ont le mérite de dessiner une alternative à la seule escalade militaire.Nos gouvernements doivent cesser de traiter avec condescendances ces appels à la paix venus du sud global, et accepter que leur voix singulière puisse ouvrir un horizon que nous sommes pour l’heure incapables de percevoir. Le dialogue Nord-Sud doit ainsi permettre de mieux concevoir l’intérêt général de l’humanité entière à faire parler les diplomates plutôt que les canons.Il est temps d’en finir avec notre eurocentrisme arrogant ;Il est temps d’entendre les voix du Sud, lassées de nous voir sans cesse maquiller les intérêts de nos classes dirigeantes derrières des valeurs universelles ;Il est temps de s’inspirer de ceux qui cherchent à défendre une organisation des rapports internationaux fondés sur la coopération plutôt que sur la compétition et le conflit ;Bref, il est temps de décoloniser notre vision du monde.Grégory Mauzé, Co-président de la CNAPD
Bravo pour cette intervention qui puise ses racines dans l’esprit de la création du CNAPD voici 53 ans