Ils ne s’en cachent pas : les partis engagés dans les négociations pour la formation d’un gouvernement fédéral sont (à l’exception peut-être de Vooruit) unis dans une même volonté de « faire des économies » et « d’assainir le budget de l’État ». Ils nous promettent une législature de rigueur voire d’austérité budgétaire. 

Pourtant, à lire les programmes de la NV-A, du MR et des Engagés, il y a un poste budgétaire pour lequel les dépenses risquent malgré tout de continuer à grimper en flèche : les dépenses militaires. Cette augmentation se fera donc nécessairement au détriment d’autres services publics, pourtant essentiels pour assurer la sécurité quotidienne des citoyennes et des citoyens belges. 

L’armée est loin d’être une « variable d’ajustement budgétaire »

Les dépenses militaires de la Belgique grimpent en flèche sans discontinuer depuis, au moins, 2014. La crise sanitaire liée à la Covid-19 et la crise énergétique qui a suivi n’ont absolument pas freiné les ardeurs militaristes de nos représentant.e.s politiques.

En 2014, alors qu’il était le Premier ministre d’un gouvernement en affaires courantes et que notre pays traversait sa plus longue crise politique, Elio Di Rupo s’est engagé auprès de l’OTAN à ce que la Belgique consacre 2% de son PIB aux dépenses militaires. 20% de ces dépenses devant obligatoirement être alloués à l’achat de matériel de guerre. 

À ce moment, la Belgique consacrait un peu plus d’1% de son PIB à la « défense ». 

Sous le gouvernement de Charles Michel, le budget militaire de la Belgique a été largement augmenté. Un ensemble d’achats militaires a été décidé et coulé dans une « loi de programmation militaire ». Le gouvernement contracte alors pour 9,2 milliards d’euros d’achat de matériels. Parmi ceux-ci, rappelez-vous, 34 avions chasseurs-bombardiers F35 à capacité d’emport nucléaire. 

Le gouvernement d’Alexander De Croo n’est pas en reste puisqu’il décide, en juin 2022, de baliser l’accroissement du budget de l’armée belge à 1,55% du PIB à l’horizon 2030. Cela signifie une augmentation d’environ 2,5 milliards d’euros supplémentaires. Le gouvernement affirme également, au même moment, sa volonté d’atteindre les 2% du PIB en 2035.

Dans cette augmentation du budget de la « défense » décidée par le gouvernement De Croo, de nouveaux investissements sont entérinés comme « actualisation de la loi de programmation militaire » à hauteur, accrochez-vous, de 10,2 milliards d’euros supplémentaires ! 

7,4 milliards sont déjà budgétés jusqu’à 2030. 

Dans la figure ci-dessous1, vous voyez en mauve foncé, les dépenses qui sont inscrites pour honorer les contrats passés sous le gouvernement de Charles Michel. En mauve clair, les dépenses contractées par le gouvernement De Croo. En 2024, c’est donc 1,2 milliard qui va être déboursé par les contribuables belges pour l’achat de matériel militaire. Et ça va aller crescendo.  

 

On aurait pu penser qu’on allait s’arrêter là

Atteindre effectivement les 2% du PIB belge pour les dépenses militaires équivaut à une augmentation d’environ 9 milliards d’euros du budget de l’armée. Selon l’économiste Gert Peersman, ces investissements supplémentaires coûteraient 1000 euros par an à chaque famille.

Et c’est bien l’objectif des partis assis à la table des négociations fédérales. 

Dans leur programme, les Engagés ne proposent pas d’échéance fixe pour atteindre cet objectif de 2% du PIB et prolongent, finalement, l’accord trouvé par le gouvernement De Croo en entendant « réinvestir dans les capacités grâce à l’augmentation de l’effort de défense à hauteur de 2 % du PIB sur la période 2024-2034 ».

Ceci étant, il est à craindre que ce parti soit à l’écoute des objectifs très ambitieux de leurs futurs partenaires de coalition quand il estime de manière étonnamment dramatique (et un peu hors-sol…) que « nos armements sont désuets, nos stocks de munitions sont vides. Nous n’avons presque plus d’armée. Nous sommes un oiseau pour le chat ». 

Le MR se garde aussi de fixer une échéance précise mais rappelle par contre que « Le Mouvement Réformateur se prononce fermement pour l’accroissement des dépenses de Défense à 2 % du PIB le plus rapidement possible ». 

La NV-A se montre le parti le plus ambitieux. Il rappelle, contre son propre discours austéritaire, qu’« une défense forte n’est pas un luxe mais une nécessité » et entend donc « redoubler d’efforts pour accélérer la trajectoire et atteindre 2 % d’ici 2029 au plus tard ». Soit à la fin de cette législature. 

Pourtant, la Commission européenne vient de tancer la Belgique pour ses « dérapages budgétaires » et réclame une économie de 25 milliards d’euros d’ici 2029. Soit 5 milliards par an. Un objectif que les partis assis autour de la table entendent honorer. 

Pour la quadrature du cercle, ne pas chercher midi à quatorze heures

Le 26 février dernier, Le Premier ministre en campagne Alexander De Croo annonçait la volonté de l’Open VLD d’atteindre les 2% du PIB consacrés aux dépenses militaires en 2029 au lieu de 2035 et liait cette revendication à la demande des libéraux de durcir la politique de chômage et de « contrôler » les dépenses en soins de santé2.

Au même moment, Théo Francken (NV-A) faisait écho à cette revendication en rappelant que « les investissements supplémentaires dans la Défense ne doivent pas nécessairement se traduire par une augmentation des impôts. Faites des économies ! » Et de préciser : « La facture migratoire dépasse déjà le milliard d’euros, la coopération au développement se chiffre en milliards et la sécurité sociale pourrait être beaucoup plus efficace. Nous devons économiser là où c’est judicieux »3. CQFD. L’augmentation des dépenses militaires ont et auront des conséquences directes sur les postes réellement essentiels à la population et à l’avenir de notre planète.

Les dépenses militaires plus importantes qu’une sécurité sociale optimale ? Pour acheter quoi, du coup ?

Comme signalé plus haut, la Belgique s’est engagée à allouer 20% de son budget militaire aux achats de matériel de guerre. Malgré les envolées lyriques qui jonchent leur programme, Les Engagés ne précisent pas les achats qu’ils entendent faire avec une telle augmentation du budget de l’armée belge.  

Le MR et la NV-A présentent par contre leur liste de course. Et elle fait froid dans le dos. Le MR plaide « pour les acquisitions suivantes : des avions de chasse supplémentaires, une troisième frégate, l’armement de tous les systèmes de drones acquis, et l’entrée dans les programmes de développement des systèmes d’armes mécanisés de demain ». La NV-A, quant à elle, veut investir « dans la capacité de déploiement opérationnel (carburant, munitions, etc.), l’achat d’une troisième frégate, l’achat de F-35 supplémentaires, une flotte d’hélicoptères opérationnelle, le renforcement de la puissance de feu de la Brigade motorisée pour passer de l’armement médian à l’armement (moyen) lourd, […], armer et développer notre flotte de drones et de systèmes sans pilote ».

En s’opposant depuis de nombreuses années à l’augmentation exponentielle des dépenses militaires, la CNAPD n’est pas naïve. Elle observe comme tout le monde la brutalité des relations internationales. La naïveté, justement, est peut-être à chercher dans la conviction partagée par beaucoup que ces dépenses militaires sont un moyen de remédier à la brutalité du monde sur les court, moyen et long termes. Que du contraire. Si c’est effectivement la sécurité qui est recherchée, il serait beaucoup plus efficace et démesurément moins couteux, de s’engager progressivement mais dès maintenant pour un monde où le niveau d’armement soit maintenu le plus bas possible. Ce qui ne peut être fait qu’en réinvestissant sans arrière-pensée les enceintes multilatérales.    

En attendant, il n’y aura pas de miracle : l’augmentation des dépenses militaires, intrinsèquement insécurisante, se fera nécessairement au détriment des mécanismes qui assurent réellement la sécurité des individus et de la planète. 

Samuel Legros

1. Tiré du « plan star » pour la défense belge de la Ministre Ludivine Dedonder

2. De Croo veut agir sur des dépenses sociales pour accélérer les dépenses militaires | RTL Info

3. Theo Francken : « Les investissements supplémentaires dans la Défense ne doivent pas nécessairement se traduire par une augmentation des impôts. Faites des économies ! » | Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA)

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