La revendication de l’extension du suffrage universel à tous les résidents étrangers a parfois été qualifiée de marginale ou symbolique car ne concernant qu’un nombre relativement restreint de personnes¹.
Pour autant, cette question a fait l’objet d’un débat passionnel et suscité un véritable rejet de la part de certains partis politiques – en particulier flamands – qui en ont fait un enjeu politique majeur et même une question de gouvernement dans la précédente législature. Il est vrai que le droit de vote des étrangers suscite peurs et fantasmes que les partis d’extrême droite, et d’autres à leur suite, ont agité, dans l’espoir d’en tirer un bénéfice électoral. Le contexte flamand, marqué par l’omniprésence du Vlaams Blok, n’incitait sans doute pas au courage politique. Il est évidemment plus aisé de caresser l’électeur dans le sens du poil que de lui expliquer le sens d’une décision apparemment impopulaire.
Toujours est-il qu’à présent, il va falloir faire œuvre pédagogique, la Chambre ayant finalement voté la loi visant à octroyer le droit de vote aux résidents étrangers non-européens aux élections communales.
Pour le monde associatif et syndical, l’octroi de droits politiques aux étrangers fait partie d’un combat historique. A la suite d’Objectif 82, la plate-forme Tous résidents, tous citoyens : égalité des droits, coordonnée par la CNAPD et qui regroupe de nombreuses associations actives dans les domaines de l’immigration ou de la promotion des droits des personnes, milite depuis plusieurs années pour la reconnaissance de droits électoraux pour tous les étrangers.
Aujourd’hui, à la satisfaction de l’instant -cela fait plus de trente ans que l’on parle de ce droit de vote-, persiste une grande insatisfaction autant sur le fond que sur l’état d’esprit qui a présidé à l’adoption de la loi, c’est-à-dire une suspicion à l’égard de l’étranger, contribuant à la stigmatisation plutôt qu’à l’émancipation. En fait, notre combat pour l’égalité des droits entre résidents et nationaux risque d’être encore (très) long !
Sur le fond.
Avec la nouvelle loi, le résident étranger non-européen ne sera pas éligible. Il pourra seulement participer au scrutin communal comme électeur. Il ne fera donc pas tout à fait partie du jeu. Il lui faudra en outre s’inscrire sur une liste d’électeurs. Cette démarche volontaire découragera sans aucun doute beaucoup de candidats à la participation citoyenne. L’expérience du vote des Européens aux élections communales de 1999 a prouvé que l’obligation de s’inscrire réduit substantiellement le pourcentage des participants. Enfin, l’octroi du droit de vote est conditionné par une déclaration préalable par laquelle l’intéressé s’engage à respecter la Constitution et les lois belges ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés.
L’option retenue par le Parlement ramène donc au minimum le droit de participation tout en imposant au nouvel électeur un maximum de contraintes. Plusieurs autres propositions de loi, déposées antérieurement et soutenues par la plate-forme associative Tous résidents, tous citoyens voulaient accorder les droits de vote et d’éligibilité, avec obligation de vote, sans autre critère que celui de la résidence en Belgique depuis au moins cinq ans. La frilosité du MR a imposé une démarche minimaliste. Combien seront en définitive ceux qui, demain, franchiront tous les obstacles pour décrocher ce droit de participation qu’on leur accorde à contre-cœur ?
Sur l’état d’esprit.
La déclaration préalable, introduite par le libéral Philippe Monfils, auteur de la proposition adoptée, est vexatoire et jette la suspicion sur l’ensemble des étrangers non-européens qui sont ainsi considérés comme moins susceptibles de respecter les lois et les valeurs prévalant en Belgique. La proposition d’amendement de Karel De Gucht, qui prônait d’exclure du droit de vote les étrangers dont la demande de naturalisation avait été rejetée, n’a heureusement pas été retenue. Ce genre de discours cautionne l’idée que les étrangers sont tous des criminels potentiels ou des indésirables et pousse au repli sur soi.
La société belge est multiculturelle. Cette diversité constitue une richesse et un défi. Ce qu’il nous faut aborder, c’est le « comment vivre ensemble ? », c’est le « comment permettre à chacun de vivre pleinement ses convictions, quelles soient laïques ou religieuses, sans empiéter sur la liberté d’autrui ? ». Plus que de réactions hâtives, c’est d’une réflexion élargie et approfondie dont nous avons besoin, d’un dialogue ouvert avec tous les acteurs concernés afin de définir ensemble un projet de société interculturelle fondée sur le respect de l’autre, la solidarité et l’égalité entre les citoyens.
A quelques jours du procès en Assises de Dutroux et consorts, il faut peut-être aussi rappeler qu’en octobre 1996, la Belgique a marché pour tous les « enfants disparus » : Julie et Melissa, Ann et Eefje, et Loubna. En ces temps douloureux, la volonté de dépasser les différences communautaires, religieuses ou culturelles animait le pays et des engagements avaient été pris par de nombreux partis politiques de part et d’autre de la frontière linguistique, pour les oublier peu après. Ce souvenir, et d’autres défis actuels, nous engagent à poursuivre le combat pour l’égalité des droits.
Pour la CNAPD
Yonnec Polet, président Véronique Oruba, vice-présidente Bob Kabamba, vice-président Myriam Mottard, secrétaire générale