/ Compte-rendu du Colloque du jeudi 22.02.2024 /

Le jeudi 22 février 2024 se déroulait un colloque organisé par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) au Parlement de l’Union européenne de Bruxelles. Celui-ci avait pour but de créer un débat autour de l’utilisation et les implications politiques et juridiques du terme de génocide à Gaza. L’exercice de la parole a été réparti entre plusieurs intervenant.e.s. Ainsi, nous avons pu assister à des discours engagés. 

D’une part l’ambassadeur sud-africain Vusi Madonsela et l’avocate Kayan Leung ont rappelé le fort engagement de l’Afrique du Sud envers la cause palestinienne au travers de la convergence des luttes ayant marqué l’histoire des deux peuples. Cette position se reflète aujourd’hui dans leur action en justice contre Israël à la Cour Internationale de Justice (CIJ). Le vice-président de la FIDH et avocat Alexis Deswaef a, pour sa part, noté la pertinence et la gravité du crime de génocide imputé à Israël grâce au tournant majeur de la décision rendue le 26 janvier par la CIJ attestant de la potentialité de ce crime, tout en déplorant un manque d’action de la communauté internationale dont la responsabilité est dès lors plus que jamais en jeu. L’eurodéputé Mounir Satouri a dénoncé l’inaction de l’Union européenne, l’outrepassement illégitime d’Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne) concernant ses prises de positions exacerbées en faveur d’Israël. Il a appelé au rétablissement sans délai des aides humanitaires à Gaza, en parallèle de sanctions concrètes contre Israël. L’avocat et procureur Johann Soufi a énoncé le manque de cohérence de l’Union européenne quant à ses valeurs/engagements et le caractère obsolète du Conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, il a  relativisé ces observations grâce aux actions concrètes de la CIJ, celles potentielles de la Cour Pénale Internationale (CPI) et grâce à la pertinence de l’action civile pour faire agir les gouvernants. Enfin, l’ex sénatrice fédérale Simone Susskind a souligné l’importance de ne pas oublier les souffrances vécues par la population palestinienne de Cisjordanie, tout en appelant au rétablissement d’un dialogue entre les sociétés palestinienne et israélienne afin de trouver une solution durable au conflit.

La CNAPD, quant à elle, se positionne en accord avec la grande majorité de ces différentes critiques et postulats. La pertinence des intervenant.e.s a permis une approche multiple de la question du conflit en dépassant le simple cadre légal. Toutefois, le manque de temps n’a pas permis de répondre de manière complète aux questions de l’audience. Ainsi, l’aspect débat de ce colloque a été très réduit. Néanmoins, nous soulignons l’importance et la symbolique de cette intervention au sein même du Parlement européen pour la cause palestinienne. Nous vous invitons à prendre connaissance, ci-dessous, du résumé détaillé des discours des différent.e.s orateurs et oratrices :

Me Alexis Deswaef (avocat et vice-président de la FIDH) a commencé par attester qu’une qualification de génocide est justifiée. L’intention – élément primordial à définir pour une telle qualification – est bien présente dans les discours des hauts représentants israéliens appelant à « détruire toute personne ». Nous rappellerons notamment, à titre non-exhaustif, les paroles de Yoav Gallant (ministre de la défense israélienne) concernant la population palestinienne : “nous combattons des animaux humains […] Nous agissons en conséquence” ; ou encore lorsque Israël Katz (ministre des affaires étrangères) annonçait que la population palestinienne serait coupée d’eau jusqu’à ce qu’elle quitte ce monde. Dès lors, cette appréciation induit une responsabilité des États tiers qui doivent veiller à la prévention et à l’arrêt du génocide en cours. Me Deswaef a notamment soulevé la question de la complicité de ces États qui, en particulier par les ventes d’armes, participent à l’impunité et, par conséquent, nourrissent les crimes suivants. D’un point de vue politique et diplomatique, Me Deswaef a défendu la nécessité que le monde politique et les représentants élus démocratiquement, y compris au Parlement européen, se saisissent de la situation. Le langage diplomatique « déplorant » et « regrettant » les actions d’Israël à Gaza et en Cisjordanie occupée doit être dépassé. Il a insisté sur le rôle de la présidence belge du Conseil européen pour faire « bouger les lignes », au côté notamment de l’Espagne et de l’Irlande, vers de réelles condamnations et demandes de réparation. Ainsi, l’arrêt de janvier 2024 de la CIJ représente un point de bascule dans la poursuite de la justice internationale d’après Me Deswaef. En effet, cet arrêt reconnait l’existence de preuves montrant le « caractère plausible » d’un génocide et comprend six mesures conservatoires, dont l’empêchement de tout acte de génocide contre les Palestiniens à Gaza par Israël. Enfin, Me Deswaef a souligné que les juridictions nationales, par le biais de la compétence universelle, constituent de réels leviers possibles pour la justice et la fin de l’impunité. Il a alors mentionné la possibilité de poursuivre en justice les binationaux (surtout français et belges) qui participent aux crimes de génocide, de guerre et contre l’humanité. 

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Face à l’impunité de la communauté internationale, Vusi Madonsela, ambassadeur d’Afrique du Sud auprès des Pays-Bas, et Kayan Leung, avocate et membre de Lawyers for Human Rights, ont lié libération sud-africaine du régime d’apartheid et cause palestinienne. S.E. M Madonsela a rappelé le rôle de la gouvernance et de la justice internationales, même si ce dernier peut être parfois défaillant. Jusqu’en 1994, l’abolition du régime d’apartheid en Afrique du Sud a grandement été poussée par des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ces prises de position assumées ont eu un impact durable sur le droit international public, avec l’adoption de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid en 1973 et la criminalisation et la définition du crime d’apartheid par le Statut de Rome en 2002. Dans le cas du conflit israélo-palestinien, S.E. M Madonsela a déploré les attaques brutales du 7 octobre mais a souligné la réponse disproportionnée et les intentions génocidaires très claires d’Israël, une humiliation des Palestiniens similaire au régime d’apartheid pour Me Leung. La gouvernance et la justice internationales, mandatées pour traiter de ces questions, ont donc été saisies par l’Afrique du Sud l’exercice effectif de ces mandats. La lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud forme donc un exemple historique et un précédent sur lequel s’est fondée la plainte de l’Afrique du Sud auprès de la CIJ en décembre 2023. Me Leung a insisté de son côté sur l’importance de la société civile dans la dénonciation du génocide et dans le développement et construction de la jurisprudence.  

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Johann Soufi (avocat et procureur spécialisé en justice internationale) a par la suite dénoncé la léthargie du Parlement européen concernant le conflit. Il appelle l’Union européenne à exercer une politique de cohérence notamment vis-à-vis de l’article 21 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) contre la discrimination et de l’ordonnance du 26 janvier de la CIJ alertant sur un potentiel crime de génocide. L’avocat a rappelé la responsabilité de la communauté internationale à prévenir ces crimes, en décalage avec leurs actions jusqu’à présent. Face à l’impasse de la diplomatie, notamment visible avec le blocage constant du Conseil de Sécurité des Nations Unies par le veto étasunien, la CIJ tout comme la CPI offrent tout de même la possibilité de rétablir une certaine justice. Un jugement sera en effet bientôt rendu concernant les exactions des colons israéliens sur la population palestinienne en Cisjordanie (à cette fin, 52 Etats interviennent notamment au travers d’avis consultatifs). La CPI n’a pour le moment toujours pas engagé des mandats d’arrêts internationaux pour juger des crimes de hauts ressortissants israéliens, mais d’après Johann Soufi, cela ne saurait tarder… Ce dernier souligne tout de même la victoire, selon lui écrasante, pour la cause palestinienne de la décision de la CIJ du 26 janvier. En effet,  celle-ci reconnait la légitimité de l’utilisation du terme de génocide dans le débat autour du conflit. En revenant plus largement sur la justice internationale, il la définit comme un “géant sans bras” ; comprendre : sans moyen coercitif pour faire exercer ses décisions. Néanmoins, celle-ci possède une puissance symbolique et politique forte mais très insuffisante au vu de la situation. 

Pour contrer le blocage du Conseil de sécurité de l’ONU, il existe plusieurs solutions. Il a par exemple été mis en place en Syrie un moyen de collecte et de partage des preuves de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ce système à alimenté les commissions d’enquêtes des organes homologues (comme le Conseil des Droits de l’Homme) de l’ONU qui avaient comme objectif de contourner le veto russe. Cependant, il est important de noter que des rapports ont déjà été produits depuis 2009 sur la situation à Gaza, sans pour autant que leurs recommandations aient été mises en œuvre. Ainsi, si l’Union européenne veut rester cohérente quant à ses valeurs, elle se doit d’agir en conséquence. Finalement, l’avocat remarque l’importance de la lutte de la société civile et des citoyens pour faire agir les gouvernants, que cela soit au travers de boycotts, de grèves ou bien de manifestations.

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Mounir Satouri (eurodéputé du groupe des Verts/Alliance libre européenne) a ensuite tenté de répondre à la question du rôle de l’Union européenne autour du conflit. Il y a dénoncé le manque d’action européenne et la faute, au regard du droit international, de certains députés ayant soutenu Israël dans sa riposte disproportionnée. En rappelant justement l’impossibilité de débat de par l’utilisation à tort et à travers du terme “antisémitisme” pour discréditer toute critique du gouvernement israëlien, l’eurodéputé y fait largement le lien avec la droitisation de la politique et des médias. Dans le contexte des prochaines élections européennes, il a notamment rappelé les positions problématiques de Mme Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne) qui à plusieurs reprises a clairement outrepassé sa fonction censée être impartiale dans le dossier Israël-Gaza. Ses décisions sont notamment allées à contre-courant des conclusions du Conseil de l’Union européenne, en témoigne sa protection du commissaire hongrois sur le refus de subventions à la Palestine. En effet, pour le bien de la population gazaouie, il est du devoir de l’Union européenne de rétablir ses financements – voire de les augmenter par la même occasion ! – tout en rompant l’accord de soutien à Israël afin de ne pas s’enfoncer toujours plus dans une logique de double-standard vis-à-vis de la Russie. Il note également que des sanctions sont possibles contre les colons israéliens ayant commis des exactions à l’égard de la population palestinienne de Cisjordanie ; ces derniers ayant déjà été condamnés par des pays tels que la France ou encore les Etats-Unis, qu’attend donc l’Union européenne pour en faire de même ?

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Pour finir, Simone Susskind a premièrement tenu à rappeler les causes profondes des événements du 7 octobre. Elle a ensuite tenu à féliciter l’investissement de la Belgique dans le conflit, en prenant exemple de la suspension de la licence d’exportation de poudre vers Israël. Un point important de son discours que nous souhaitons mettre en avant est la mention aux 300 Palestinien.e.s tué.e.s en Cisjordanie depuis le 7 octobre et les tentatives d’expulsions permanentes que font subir le gouvernement d’Israël aux Palestinien.e.s dans les territoires occupés/colonisés. En effet, l’actualité se concentre sur Gaza (à juste raison) mais n’oublions pas les Palestinien.e.s de Cisjordanie et de Jérusalem-Est qui font face à la répression inhumaine du gouvernement d’Israël. L’ex sénatrice demande à pousser pour la mise en place d’un accord d’association entre l’Union européenne et les autorités palestiniennes, en soulignant qu’il en existe déjà un avec Israël. Par ailleurs, elle déclare comme un “scoop” que Bruxelles, sous la présidence Belge de l’UE, deviendra potentiellement la maison de la société civile palestinienne dans les prochaines années (nous n’avons pas trouvé plus d’informations à ce sujet pour l’instant). Dans un second temps, son discours se concentre sur l’importance d’établir un dialogue entre les sociétés civiles israélienne et palestinienne. Elle insiste sur le fait que tous les israéliens ne sont pas pour la guerre et que de nombreuses organisations (présentes depuis 1967) luttent contre celle-ci en Israël. Elle ajoute que 20% des Israéliens sont palestiniens. De plus, elle appelle à comprendre le sentiment d’insécurité que les Israéliens subissent depuis le 7 octobre avec la peur de disparaître. Effectivement, elle souligne que la paix durable se fera par un dialogue et une compréhension des peines de part et d’autre. 

 

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Chevaux Roméo 

Sicot Ludovic

Couteret Margot 

Image de Pixabay

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