Depuis que s’est consolidé sous sa forme moderne le projet de faire reposer les relations entre États sur le respect mutuel et des règles partagées plutôt que sur l’arbitraire des puissants, ceux-ci ont toujours cherché à s’en émanciper. Qu’il s’agisse d’envahir un territoire ou d’en changer le régime au mépris de sa souveraineté, les multiples entorses à la Charte de l’ONU ont jusqu’à présent été justifiées par des valeurs supposément supérieures. Le concept flou d’« ordre fondé sur des règles », promu par les États-Unis et leurs alliés, est récemment venu en appui de leur refus de se sentir liés par les normes communément admises et par la volonté de définir eux-même les règles du jeu. 

Avec le néo-impérialisme décomplexé de Donald Trump, un nouveau pas vers le crépuscule du droit international est aujourd’hui franchi. Plus question de se référer à quelques nobles principes pour légitimer sa soif prédatrice : seul compte désormais le rapport de force qui permet de faire valoir ses intérêts. C’est uniquement au nom de ces derniers que le locataire de la Maison-Blanche justifie dès lors ses projets de prendre le contrôle du canal de Panama, de vider la bande de Gaza de ses habitants ou d’annexer le Groenland. 

Il serait tentant d’éprouver une certaine satisfaction à voir enfin l’impérialisme avancer à visage découvert, sans les atours des néoconservateurs et autres interventionnistes prétendument humanitaires. Ce serait sous-estimer les conséquences d’un monde où le mépris des règles universellement reconnues comme telles n’impliquerait plus aucun coût politique ou symbolique, ouvrant ainsi la voie au retour de la barbarie ouverte et décomplexée à l’échelle globale. 

Mais il serait trop simple de penser que le danger en la matière se situe seulement outre-Atlantique. Nous, Européens, contribuons également à l’affaissement du droit international, notamment à travers notre rapport au champion en chef de ses violations : Israël. En atteste entre autres la réunion du conseil d’association UE-Israël qui s’est tenue ce lundi 24 février à Bruxelles. Malgré le fait que Tel-Aviv occupe et colonise illégalement le territoire palestinien, pratique de l’apartheid et commet un génocide – deux crimes contre l’humanité –, les 27 ont réaffirmé la solidité du partenariat qui les unit, au mépris de leurs obligations internationales. 

Cette absence d’égards pour le droit international dans le cas israélo-palestinien en sape la crédibilité de nos dirigeants lorsqu’ils l’invoquent ailleurs, comme dans le cas russo-ukrainien qui les préoccupe pourtant autrement. 

Critiquer l’invraisemblable inversion agresseur/ agressé opérée par Trump, qui a accusé le président ukrainien Zelensky d’avoir initié la guerre avec la Russie ? L’Union européenne, elle, n’a eu de cesse de rappeler un prétendu « droit à se défendre » d’Israël, alors même que ce dernier constitue l’agresseur initial en tant que puissance occupante et colonisatrice.

Fustiger le pillage des ressources ukrainiennes que planifie le président étatsunien ? L’Union européenne est le premier débouché des produits issus des colonies israéliennes illégales situées sur des terres confisquées aux Palestiniens.  

Pointer la collusion de Trump avec le criminel de guerre Poutine, visé par un mandat de la Cour pénale internationale ? Le futur chancelier allemand Friedrich Merz, à la suite d’autres dirigeants européens, s’est empressé de garantir à Netanyahou qu’il n’aurait rien à craindre du fait qu’il est, lui aussi, la cible d’une inculpation semblable, portant ainsi un coup terrible à l’idée d’une justice internationale impartiale. 

Aujourd’hui pris en tenaille entre deux superpuissances nucléaires, le Vieux Continent n’a aucun intérêt à la démonétisation du droit international. Il serait dès lors inspiré de cesser de l’invoquer « à la carte », et d’œuvrer plutôt à faire advenir le rêve d’un monde débarrassé des rapports bruts de domination. Au risque de subir, à son tour et en dernière instance, tout le poids de leur retour en force.

Grégory Mauzé, Co-président de la CNAPD

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