Conférence internationale de juristes sur la publication des opinions de l’avocate générale de la CJUE concernant les affaires relatives au Sahara occidental
Ce mardi 2 avril 2024, nous avons assisté à une conférence portant sur la publication des opinions de l’Avocate générale de la Cour de Justice de l’Union Européenne de ce 21 mars 2024. Rappelons que la Commission européenne et le Conseil européen avaient décidé de faire appel de la décision de la CJUE de mettre fin au traité de partenariat sur la pêche entre l’Union européenne (UE) et le Maroc. De plus, il a été demandé de respecter le bon étiquetage des produits sahraouis, considérant que le Sahara occidental est un territoire non autonome, séparé et distinct du Maroc. C’est dans ce contexte que l’Avocate Générale a rendu ses opinions. Or, la décision de la Commission européenne et du Conseil européen de maintenir de tels accords semble infondée juridiquement. La conférence avait ainsi pour but de communiquer l’avis des représentants légaux et politiques du Sahara Occidental en réponse de ceux de l’Avocate générale sur l’affaire.
La parole a été répartie entre 4 intervenants : Pierre Galand (ancien président du CNAPD, et président de l’ABP et de l’EUCOCO); Inès Miranda (avocate, fondatrice et coordinatrice de “Observación Internacional de Juristas en el Sáhara Occidental”), Gilles Devers (avocat représentant le Front Polisario) et Oubi Bouchraya (représentant du Front Polisario auprès de l’Europe). Dans un premier temps, les invité.e.s ont tenu à exprimer leur désarroi face à la conclusion de l’avocate générale qui est, selon eux, remplie de paradoxes et de controverses. Dans un second temps, ils ont rappelé la jurisprudence de la Cour et démontré qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour le futur arrêt de celle-ci. Pour finir, ils ont informé des actions que les militants et le Front Polisario (FP) peuvent réaliser pour assister le peuple du Sahara occidental dans sa lutte.
Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler l’importance et le rôle des conclusions de l’Avocate générale sur le dossier. Pour résumer, la CJUE fait appel à un magistrat indépendant afin de conforter sa prise de décision. Il est bon de noter que les intervenant.e.s ne peuvent pas y répondre lors du procès mais peuvent cependant avoir recours à des démarches extérieures comme des tribunes indépendantes ou autres dénonciations diverses. Néanmoins, il a été réaffirmé que, dans ce type de procès, la jurisprudence du tribunal joue un rôle clé dans la prise de décisions des juges. Ainsi, Me Devers compare celle-ci à une maison qui se construit au fil du temps. De plus, dans son intervention, l’avocat démontre que ce qui a déjà été jugé par la Cour ne peut être la source de nouveaux questionnements. C’est pour cela que les intervenant.e.s, bien que dérangé.e.s par les conclusions de l’avocate générale, ne sont pas inquiet.e.s quant à la décision de la Cour. Par ailleurs, ils ont dénoncé le travail de celle-ci en mettant en avant que son travail était de mauvaise qualité et marqué de “paresse”. En effet, dans sa conclusion l’avocate générale remet en cause la représentativité du peuple du Sahara occidental par le Front Polisario et plus largement son droit à l’autodétermination ; le statut du Sahara occidental en qualifiant le Maroc de puissance administrante, créant par la même occasion un avis paradoxale en ordonnant un traitement séparé du Sahara occidental au travers des accords entre l’Union européenne et le Maroc.
Sur plusieurs points, cet avis se heurte à la jurisprudence même de la Cour. Ainsi, en 2016, la CJUE avait déjà tranché que le Sahara occidental et le Maroc étaient deux territoires séparés et distincts, donnant de fait une personnalité juridique au Sahara occidental. Celui-ci peut donc s’exprimer en tant que région non-autonome. Un statut correspondant à un un régime strict de l’ONU et du DIP. Une région non-autonome peut en effet s’exprimer sans que le peuple ait à demander son autodétermination.
Par ailleurs, l’ONU et la Cour Africaine ont qualifié la présence du Maroc au Sahara occidental “d’occupation” et il n’y a aucun texte de l’Assemblée Générale confirmant que le Maroc soit la puissance administrative de celui-ci. Au contraire, les résolutions 34/37 de 1979 et 35/19 de 1980, de l’Assemblée Générale des Nations Unies, reconnaissent le Front Polisario comme “représentant du peuple du Sahara occidental”. De plus, le Maroc se déclare souverain du territoire et dénie donc l’existence du peuple sahraoui en tant que tel. Il ne peut donc pas être une puissance administrative d’un territoire qu’il déclare être partie intégrante du sien. Ainsi, la conclusion de l’avocate générale n’a aucun sens pour les intervenant.e.s.
En outre, Me Devers prévoit que l’arrêt futur de la Cour sera positif pour le Sahara occidental. Effectivement, il reprendra l’arrêt de 2016 et, selon l’avocat, la CJUE demandera au Parlement et à la Commission de respecter l’état du droit international en la matière. Il est en cela bon de rappeler que les arrêts de la Cour sont directement exécutoires.
Dans un second temps, ont été abordées les actions plus ou moins immédiates que le Front Polisario souhaitent entreprendre dans sa lutte. Premièrement, des actions ciblées sur la Commission qui maintient des entreprises marocaines au Sahara occidental sont souhaitées. En effet, l’attribution d’agréments à l’exportation permet la continuation de l’exploitation du Sahara occidental par le Maroc et l’occident. Deuxièmement, le Front Polisario compte appliquer l’arrêt de la Cour au niveau national dès cet été, afin d’attaquer les assurances, banques, compagnies aériennes et industries solaires étant présentes au Sahara occidental sous autorisation marocaine. Ces entreprises sont la continuité directe d’un colonialisme auquel il est plus que temps de mettre un terme. Enfin, l’idée à été émise d’exercer le recours en responsabilité pour obtenir une compensation financière de la colonisation. Cependant, il note que le but de cette action n’est pas d’acquérir les 4 ou 5 milliards d’euros pour préjudices mais plutôt de gagner un poids plus conséquent dans les négociations.
En définitive, les conclusions des intervenant.e.s font état d’un travail laissant grandement à désirer. Le mémoire d’une quarantaine de pages, dont seulement 20 d’analyse, ne permet pas de proposer un avis constructif et qui, de fait, rend des conclusions paradoxales et en décalage totale avec la jurisprudence de la Cour. Plus grave encore, c’est le droit même à l’autodétermination des peuples qui est remis en cause, au travers d’une prise de position de l’avocate générale en opposition à des normes erga omnes (ultimes en droit international). Ainsi, invoquer un souci de “neutralité” et une volonté discrétionnaire de la part de l’UE est totalement erroné au regard des faits précédemment exposés et simplement contradictoire au vu du droit international.
Pour une analyse plus poussée des différents aspects juridiques évoqués en amont, nous vous invitons à parcourir l’excellente critique proposée par François Dubuisson (Professeur, Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles) à ce sujet (Avis-avocate-generale-dans-les-affaires-Sahara-occidental-Dubuisson.pdf (ulb.ac.be)). Également, si vous souhaitez en apprendre plus sur le Sahara occidenral, n’hésitez pas à parcourir les nombreux articles proposés par la CNAPD (Porte d’entrée ? https://www.cnapd.be/memoire-et-actualite-dun-drame-humain/ / https://www.cnapd.be/une-solution-politique-ou-la-violence-legitime/)
Chevaux Romeo
Sicot Ludovic