La disparition de la question palestinienne de l’agenda international devrait alarmer quiconque aspire à un ordre du monde fondé sur la justice plutôt que sur les rapports de domination bruts. Les rares dépêches de presse macabres qui passent le filtre médiatique n’offrent qu’un aperçu de l’ampleur de la dégradation de la situation en Cisjordanie occupée, confrontée à une répression d’une violence inédite depuis deux décennies. Depuis le début de l’année, plus d’une centaine de Palestiniens y ont déjà été tués au cours de raids de l’armée israélienne, parmi lesquels un tiers de civils, dont la journaliste palestino-étatsunienne Shireen Abu Akleh le 11 mai dernier. À ces morts s’ajoutent les milliers de blessés durant les mêmes « opérations antiterroristes », et le blocus des villes de Jénine, Naplouse ou du quartier palestinien de Shua’fat à Jérusalem-Est, dont les habitants sont soumis à de véritables châtiments collectifs. La campagne de « bombardements préventifs » lancée contre la bande de Gaza le 5 août avait, quant à elle, fait une cinquantaine de victimes, dont 16 enfants.Ce pic de violence est le résultat inévitable de la confrontation de deux forces antinomiques: d’une part un pouvoir israélien qui impose aux Palestiniens un régime de colonisation et de suprématie raciale qui relève de l’apartheid[1] ; de l’autre, le refus de ces derniers d’accepter leur sujétion. De fait, il est la manifestation la plus visible de l’accentuation de l’architecture de domination à l’œuvre en Palestine occupée : violence de plus en plus décomplexée des colons, souvent avec la protection, voire le soutien de l’armée d’occupation ; persécution des défenseurs des droits humains, à l’instar des sept ONG palestiniennes qualifiées de terroristes par le ministère israélien de la Défense et traitées comme telles ; interdiction faite à l’ONU et à la CPI de mener la moindre enquête sur le terrain; poursuite à large échelle du nettoyage ethnique du territoire occupé, comme à Masafer Yatta ou plus d’un millier de Palestiniens sont confrontés à l’expulsion collective la plus massive depuis le début de l’occupation de 1967…Cette fuite en avant du gouvernement israélien n’est possible qu’en raison de l’impunité dont il bénéficie. Car le bruit des bombes et des balles ne trouble guère la quiétude des salons feutrés des diplomaties étrangères ni ne dissipe les charmes de la start-up Nation israélienne, bien au contraire. Premier bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne et premier partenaire commercial d’Israël, l’UE semble décidée à se cantonner à un rôle humanitaire dans ce dossier, compensant en quelque sorte sa lâcheté politique par de la charité. C’est ainsi que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a conclu un ambitieux accord gazier avec Israël et l’Égypte le 15 juin, sans manifester la moindre préoccupation pour la question des droits humains. Les chefs d’États européens ont, quant à eux, choisi de rehausser leurs relations avec Israël en reprenant le 3 octobre les réunions du conseil d’association, suspendues depuis 10 ans en raison de l’absence de progrès sur la paix. Les violations des droits des Palestiniens y furent à peine évoquées, à l’inverse des nombreux sujets de discussion sur les coopérations bilatérales en matière économique, géostratégique, scientifique ou sécuritaire. Quel contraste offre cette prime à la poursuite de l’occupation avec la rapidité dont ont fait preuve les 27 pour sanctionner la Russie après son agression contre l’Ukraine !Le soutien à la cause palestinienne ne repose pas sur une quelconque sympathie communautaire ou sur une prétendue inimitié congénitale envers l’un et l’autre des acteurs du « conflit » : il incarne en dernière instance le rejet des logiques de domination. C’est à ce titre qu’il constitue depuis longtemps l’étendard des luttes pacifistes, syndicales, ou anticoloniales, et représente encore aujourd’hui un symbole puissant de la prise en compte des injustices par delà les frontières. L’indifférence européenne à l’avènement d’une paix juste au Proche-Orient, que nos dirigeants semblent désormais considérer comme inutile à la promotion de nos intérêts régionaux, devrait dès lors nous indigner et nous mobiliser collectivement.Grégory Mauzé
co-president de la CNAPD
[1] L’accusation d’apartheid contre Israël a notamment été formulée par Human Rights Watch et Amnesty International et récemment réitérée par la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens Francesca Albanese dans son rapport à l’AG de l’ONU le 18 octobre 2022.
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