La Belgique reconnaît le terrible bilan du régime saoudien en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales tout en continuant à lui vendre des armes et en la laissant cyniquement « défendre la démocratie » chez son voisin yéménite à coups de bombardements. Il est grand temps aujourd’hui de porter haut la voix de la dignité. Dignité pour les populations sous le feu des bombes ou sous les coups de fouet, dignité pour notre pays et pour l’Union européenne qui ne s’abaisseraient plus à une realpolitik meurtrière mais lucrative en faisant le choix de la diplomatie et du dialogue.
L’Arabie saoudite est un allié fidèle des pays de l’OTAN. Elle est donc du bon côté, de notre côté. Or, le 3 août dernier, le célèbre blogueur Saoudien Raif Badawi a à nouveau été fouetté 50 fois en public. Ce rituel cruel s’étendra sur plusieurs semaines jusqu’à qu’il reçoive les 1000 coups de fouet infligés par les autorités saoudiennes pour avoir créé un site Internet comportant des éléments critiques contre le gouvernement et la religion.
Le cas emblématique de ce bloggeur saoudien est à la base d’une Résolution de la Chambre belge adoptée à l’unanimité le 18 juin dernier. Cette Résolution rappelle que « l’Arabie Saoudite demeure un régime profondément antidémocratique qui réprime durement toute opinion dissidente (…), qui relègue les minorités religieuses au rang de citoyens de deuxième ordre et qui applique intensivement la peine de mort et les châtiments corporels ».
Partant de ce constat, la Résolution demande timidement au Gouvernement de « mener une réflexion approfondie (sic) sur nos relations (…) avec l’Arabie saoudite, à la lumière du terrible bilan de ce régime en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales (…) mais également au vu du rôle de certains responsables saoudiens dans le financement du terrorisme international ».
Un « terrible bilan » qui fait pourtant l’impasse sur le fait que l’Arabie saoudite est le premier importateur mondial de matériel militaire provenant essentiellement des pays de l’Union européenne et des États-Unis, ou encore que 25% des exportations wallonnes d’armes légères sont destinées à ce « régime profondément antidémocratique ». Et, comme on le sait, elle est une exportatrice importante de pétrole par le biais de multinationales pétrolières américaines.
L’Arabie Saoudite se porte malgré tout au secours de la « légitimité démocratique »
De ce « terrible bilan », rien n’est dit, non plus, sur le soutien officiel de la Belgique[1] à l’intervention militaire de l’Arabie Saoudite depuis le mois de mars dernier, pour « défendre le gouvernement légitime du Yémen ». Les deux pays semblent au contraire se retrouver sur les manières d’attiser les conflits dans la région.
L’intervention saoudienne a pourtant débuté trois jours après le revirement du Président yéménite Mansour Hadi qui a rendu caduc les efforts de conciliation dont ont fait preuve les parties en conflit (rébellion Houtis, gouvernement, tribus locales)[2]. Sans surprise, les bombardements de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ont renforcé les divergences et rendu d’autant plus difficile, une résolution politique du conflit pourtant en passe d’être trouvée. Personne ne semble s’en émouvoir outre mesure.
Personne chez nous ne paraît donc officiellement dénier la légitimité de l’Arabie saoudite à faire respecter le processus démocratique chez son voisin. Pas même des appels à la retenue ne se sont fait entendre quand le régime wahhabite a unilatéralement rompu la trêve négociée au début du mois de juin, ou lors des bombardements saoudiens les plus meurtriers du mercredi 17 juin, deux jours après le début des pourparlers de paix entre parties yéménites sous l’égide de l’ONU.
Aucune déclaration officielle n’a été entendue de la part des décideurs belges demandant à l’Arabie saoudite de lever le blocus maritime qui empêche les civils yéménites d’avoir accès aux biens de premières nécessités, alors que l’UNICEF dénonce une « catastrophe humanitaire ». 20 millions de Yéménites sont en attente urgente d’aide humanitaire dans un pays qui dépend à 90% des importations pour son carburant et sa nourriture et à 100% pour les médicaments.
La guerre dessine une nouvelle fois les impasses vers lesquelles elle mène inexorablement.
Encore une fois, elle ne peut être freinée que par une action soutenue des partenaires internationaux des parties en conflit. Or, malgré une courageuse Résolution du Parlement européen datant du 7 juillet dernier[3], les réactions et propositions de la communauté internationale pour trouver une sortie politique et diplomatique au conflit sont inquiétantes.
En effet, la Belgique, l’Union Européenne ou le Conseil de Sécurité des Nations Unies isolent les Houthis comme uniques responsables du conflit au Yémen. Ainsi, par la Résolution 2216 du Conseil de Sécurité approuvé le 16 avril 2015 [4], seuls les Houthis sont mis sous embargo d’armes, à l’exception de tous les autres groupes combattants (même ceux qui combattent à leur côté). Un blanc-seing aux bombardements saoudiens qui font jour après jour la preuve de leur caractère cynique et macabrement contre-productif.
Depuis le « printemps arabe » yéménite de 2011 contre le gouvernement d’Ali Abdullah Saleh, des manifestations et des affrontements se succèdent. Des mécanismes de discussion et de collaboration se sont à chaque fois fait jour pour mettre fin aux violences. La société yéménite, malheureusement trop fréquemment présentée sous l’angle de la menace terroriste et d’Al-Qaeda, est loin d’être politiquement « défaillante ». En effet, de tous les pays de la péninsule arabique, c’est ici que le projet démocratique est le plus enraciné [5]. Il n’en reste pas moins que les morts et destructions provoquées depuis fin mars dernier par l’offensive militaire saoudienne exacerbent les antagonismes et risque de pousser le Yémen vers une fragmentation du même genre que celle observée en Libye ou en Syrie.
Qui sont les terroristes en l’occurrence : les Saoudiens ou les Houthis ?
Cette Carte Blanche est parue sur le site du Soir.be (12 août 2015) et dans le Journal Le Soir du 13 août.