Nous avons observé dans nos précédents articles les raisons de la privatisation et ses avantages supposés. Dans ce dernier article, nous souhaitons mettre en avant les conditions de travail et de détention dans le système carcéral belge. D’une part, entre manque de main d’œuvre et de moyens ; et d’autre part atteinte à la dignité humaine , nous constatons la faillite de l’État Belge à respecter ses engagements internationaux et nationaux.

En premier lieu, avant d’aborder les conditions de détention effroyables des prisons belges, nous devons comprendre comment celles-ci sont possibles dans un pays comme la Belgique ? Rappelons que notre pays est signataire du Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants et a reconnu l’autorité de la CEDH. Les problèmes majeurs de la Belgique sont la surpopulation carcérale et la réponse des gouvernements à celle-ci : construire plus de prisons et une politique zéro tolérance. Nous avons déjà indiqué dans notre article que le CCSP a critiqué cette approche. Cependant, ce ne sont pas les seuls à le faire. En effet, dans un article du Moustique et la Libre, Mohammed Bercha, le responsable syndical des prisons francophones bruxelloises déclare : « « Cette population ne fait qu’augmenter, depuis une bonne dizaine d’années ça va crescendo. Pour y répondre, on construit de nouvelles prisons mais on a tendance à les remplir très vite, parce que les magistrats donnent des peines plus élevées, comme en témoigne la prison de Haren qui est déjà pleine. » 1 De plus, la critique de la tolérance zéro de la part du gouvernement même après la réforme du Code pénal est aussi mise en avant par les expert.e.s de la loi et les syndicats qui demandent des changements structurels2. Notons que cette réforme du code pénal prévoit une possibilité d’aménagement de peine avec 1 mois sur deux en prison pour certains prisonniers. Cette mesure a pour but de désengorger les prisons en permettant aux détenu.e.s avec un bon comportement d’effectuer une partie de leur peine en dehors de la prison. Néanmoins, la réalisation et l’impact réel de cette réforme reste à évaluer.

Par ailleurs, nous nous devons aussi de parler des conditions de travail et des revendications du personnel pénitentiaire publique afin de saisir à quel point le système carcéral va mal en Belgique. Ainsi, nous apprenons que le salaire brut d’entrée pour le personnel de surveillance est de 29 851,77 euros par an avec possibilité de primes (Prison Insider, 2023). Le taux d’absentéisme est d’environ 30% dans certaines prisons du pays. De ce fait, le personnel est en sous-effectif, les services, les douches et les cours de récréations sont donc souvent annulés. Le CCSP a remarqué qu’au moins 31 prisons en Belgique sont en manque d’effectif en 2022 (Prison Insider, 2023). Il y a un tel manque d’agents que les stagiaires sont réquisitionné.e.s pour combler ce trou. Dans un article de la RTBF, nous apprenons que les personnes sont formées sur le tas afin de compenser cette pénurie3. L’exemple le plus criant est la casi absence de personnel socio-éducatif dans les prisons belges : 236 en 2022 pour 10 960 prisonniers à cette période soit un ratio de 1 pour 464. Rappelons que, selon la Loi des Principes, les détenu.e.s ont le droit à leur arrivée d’un plan de détention individuel. Ce plan est composé de propositions d’activités auxquelles le détenu pourra participer tels que du travail, des formations, des programmes de soutien psychosocial, traitement médical ou psychologique (art. 38 de la loi). Ce plan peut être adapté lors de la détention. Cependant, le CCSP, dans un rapport de 2022, a indiqué que ce plan n’est presque jamais élaboré. Par exemple, les prisonnier.e.s de Louvain central et ceux/celles de Marneffe ont eu de long délai d’attente pour obtenir des rendez-vous auprès du service psychosocial (SPS) pour faciliter la réinsertion (Prison Insider, 2023). Comment peut-on être étonné quand le personnel socio-éducatif représentait 3,3% du personnel pénitentiaire en 20215 ? 

Ce manque de suivi et les conditions de détention inhumaines ne font qu’accentuer le mal être de certains prisonnier.e.s. Ainsi, le taux de suicide, pour 10 000 personnes, en prison est presque quinze fois plus élevé que dans le reste de la population belge6. Le plus outrageant c’est que parmi ces personnes, plus de la moitié avaient déjà fait une tentative de suicide démontrant, encore une fois, l’abandon total des prisonnier.e.s à leur sort7. La CEDH avait d’ailleurs condamné la Belgique en 2020 pour son manque d’encadrement, de suivi médical et le placement à l’isolement d’un détenu alors que celui-ci avait effectué plusieurs tentatives de suicide (affaire : Jeanty c. Belgique). De plus, lorsque des organismes s’efforcent à pallier ce rejet du gouvernement à aider les détenu.e.s ceux/celles-ci doivent arrêter leurs activités du fait des conditions de travail et des restrictions dans les prisons. Ainsi, comme le rapporte, Le Soir, le Réseau Hépatite C-Bruxelles a dû stopper le dépistage et le traitement des détenu.e.s. Rappelons que les prisonnier.e.s ont un risque sept fois plus élevé que les autres citoyen.e.s à développer, du fait du manque d’hygiène et de la toxicomanie présentent dans les prisons belges. La docteure Lise Meunier témoigne, dans l’article, qu’il ne leur était pas possible de travailler auprès des personnes en détention préventive. Elle déclare que : « L’objectif de l’OMS est l’élimination de la maladie pour 2030, mais en Belgique, on considère les prisonniers comme s’il s’agissait d’un monde à part. Ces gens vont sortir ! Au-delà du problème des détenus, c’est toute la santé publique qui est concernée. »8.

Nous remarquons que les soupçons ou allégations de mauvais traitement infligés à un ou une détenu.e ne sont pas enregistrés. Effectivement, dans un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), nous constatons que les directions des établissements connaissent dans la majorité des cas les membres qui font preuve de violence envers les détenu.e.s9. Cependant, ceux/celles-ci sont soit jamais ou tardivement réprimandé.e.s en raison de la peur des grèves. Il est intéressant de noter que lors des grèves, c’est les policier.e.s qui gèrent les prisons. Les douches ne sont pas autorisées, les activités suspendues et les repas sont limités à une ration par jour (Prison Insider, 2023). Une pratique courante est de transférer l’agent suspecté.e dans une autre aile de la prison ou de le/la muter dans une autre infrastructure carcérale. Par ailleurs, entre 2017 et 2021, le CPT affirme qu’il n’y a eu aucune amélioration pour l’enregistrement et le signalement des blessures : les établissements visités n’ont pas de registres spécialisés. De Plus, les informations concernant les blessures ne sont tout simplement pas (sauf exceptions) signalées au procureur compétent10. A contrario, les violences entre détenu.e.s sont bien répertoriées et transmises au procureur du Roi comme le demande le Code d’instruction criminelle. Bien que présent dans tous les établissements carcéraux, celles-ci ne sont pas quantifiées car rarement dénoncées par les prisonnier.e.s de peur de vengeance par les autres détenu.e.s ou par les autorités carcérales. Il en va de même pour les abus sexuels que les personnes incarcérées subissent. Effectivement, nous observons que les détenu.e.s peuvent éprouver des difficultés , en plus de la honte et de la peur de représailles, à dénoncer ces abus du fait que le personnel carcéral a pour habitude de dissimuler leur badge d’identification bien que cela soit interdit depuis 2017. Des cas d’abus sexuels répétés ont été dénoncés et signalés en 2020 dans la prison de Lantin11. Pour continuer la liste des problèmes présents dans les prisons belges, indiquons que lors de sa première visite en 2017 le CPT avait pris note de nombreux signalements à propos de remarques racistes et provocantes de la part d’agents à Bruges, Lantin, Leuze-en-Hainaut et Saint-Gilles12. Néanmoins, il nous faut indiquer que lors de sa visite en 2021 le CPT n’a reçu aucune allégation concernant de mauvais traitements physiques à l’exception d’un incident à Anvers13. 

Les personnes favorables aux prisons vous diront que les détenu.e.s peuvent porter plaintes contre le traitement qui leur est donné si ils estiment qu’il y a eu un problème. Mais à quoi bon quand 12% des plaintes ne sont pas traitées et 43% jugées irrecevables14. Par ailleurs, la Concertation des associations actives en prison (CAAP) avait démontré que, dans certaines prisons, la confidentialité des plaintes n’était pas respectée15. En effet, le CAAP (2022) a remarqué que les boites aux lettres des commissions ne sont pas tout le temps présentes dans les quartiers de détention et que ce sont les agents qui détiennent les formulaires de plaintes. Nous comprenons alors la peur des représailles que les détenu.e.s peuvent ressentir lors de l’exercice de leur droit. C’est aussi cette crainte qui leur fait renoncer à déposer celles-ci. De plus, le nombre de plaintes irrecevables s’expliquent par le manque de connaissance sur la portée du droit de plainte en prison. Notons que des séances d’information sont dispensées dans certains établissements (Anvers, Berkendael, Beveren, Dinant, Hasselt, Jamioulx, Paifve16). Cependant, nous pouvons douter de leur efficacité. Rappelons que nos politiques et représentant.e.s, dans leur envie insatiable de protéger les droits des prisonniers, ont souhaité réformer la loi de Principes de 2005 dans un but de modifier le statut juridique des détenu.e.s et l’administration pénitentiaire. Le CCSP a alors critiqué les amendements proposés en démontrant que ceux-ci violaient la Constitution et les obligations de la Belgique en matière de droits humains en tant que membre du Conseil de l’Europe. Effectivement, selon le CCSP, ceux-ci peuvent limiter le droit des prisonniers à un recours effectif et limiter le contrôle des prisons par le CCSP17. Au vu de l’état de nos prisons, restreindre le contrôle de celles-ci ne peut qu’être la source d’interrogations légitimes. Cet avant-projet de loi a aussi été dénoncé et jugé comme négatif par l’Institut Fédéral pour la protection et la promotion des Droits.18

Conclusion :

La situation des prisons belges est catastrophique. Elle est le fruit de politiques carcérales restrictives et punitives qui ont causé une surpopulation dans les prisons belges. Celle-ci provoque des conditions de travail et de détention insupportables, de nombreuses fois condamnées. De plus, elle ne permet pas aux prisonnier.e.s de prévoir leur réinsertion en rendant impossible toute mise en place de plan ou de programmes.

Ces politiques prennent source dans un paradoxe entre respect des droits humains et besoin de sécurité de la part de la population. Les gouvernements belges ont décidé de remédier à la surpopulation via la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Ces sites ont été financés à l’aide de partenariats publics-privés opaques et aux conséquences controversées. Nous avons constaté que ce choix n’est pas en adéquation pour répondre aux problèmes posés, les nouvelles prisons se remplissent alors que les chiffres de la criminalité diminuent19. Il est donc grand temps de changer et de se diriger vers un système carcéral plus compréhensif et moins répressif. Les professionnel.e.s du domaine et les expert.e.s appellent à un assouplissement de la loi. La suppression de la loi sur l’application des petites peines est une première réponse pour resoudre le problème de la surpopulation carcérale.

1. La surpopulation dans les prisons en Belgique est-elle pire que chez nos voisins ? - Moustique (lalibre.be)

2. Surpopulation carcérale : certains détenus pourront sortir un mois sur deux - Le Soir

3. Maison de détention de Forest : 'On apprend tous les jours' - RTBF Actus

4. 240111_SPACE-I_2022_FinalReport.pdf (unil.ch)

5. SPACE-I_2021_FinalReport.pdf (unil.ch) 

6. SPACE-I_2021_FinalReport.pdf (unil.ch)  et   Suicide mortality rate (per 100,000 population) - Belgium | Data (worldbank.org)

7. Belgique : les prisons en 2023 (prison-insider.com)

8. 12.000 détenus en Belgique, triste record pour le pays - Le Soir

9. Belgique : les prisons en 2023 (prison-insider.com)

10. Ibid et Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le CPT du 2 au 9 novembre 2021

11. CCSP_RapportAnnuel_2020-2.pdf (belgium.be)

12. Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le CPT du 27 mars au 6 avril 2017

13. Belgique : les prisons en 2023 (prison-insider.com)

14. CCSP-Rapport-Annuel_2022_FR_DEF.pdf (belgium.be)

15. Etat-des-lieux-JNP-2022-FINAL.pdf (laicite.be)

16. CCSP-Rapport-Annuel_2022_FR_DEF.pdf (belgium.be)

17. 2023-06-08-Communication-CCSP-avant-projet-de-loi.FINAL_.pdf (belgium.be) et Belgique : les prisons en 2023 (prison-insider.com)

18. Avis IFDH Loi de principes.pdf (federalinstitutehumanrights.be) 

19. La surpopulation dans les prisons en Belgique est-elle pire que chez nos voisins ? - Moustique (lalibre.be) 

Ludovic Sicot

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