Depuis l’adoption de la Résolution 1325 par le Conseil de sécurité des Nations Unies en 2000, l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité (FPS) vise à rééquilibrer les rapports de pouvoir entre les genres et à promouvoir une paix mondiale durable. Toutefois, malgré ses objectifs respectables, la mise en œuvre de cet agenda révèle des lacunes fondamentales. Cet article examine les déficiences de l’agenda FPS, en commençant par son origine au sein de l’ONU, puis en examinant son application par l’OTAN.

En 2000, la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies a assuré la mise en place de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité (FPS). Si elle vise en particulier à reconnaître l’impact des disproportionné des conflits sur les femmes et les jeunes filles, elle défend également leur pleine protection et participation aux processus de constructions et de maintien de la paix. Elles ne sont désormais plus perçues comme de simples victimes. Depuis, sept autres résolutions, adoptées jusqu’en 2015, sont venues compléter cet agenda. 

De façon générale, ce programme est peu critiqué, du moins en ce qui concerne son objectif principal : parvenir à l’égalité de genre à l’échelle mondiale. Ses dispositions sont organisées en différents « piliers », dont le nombre peut varier en fonction des analyses mais qui, globalement, s’articulent autour des prérogatives suivantes : prévenir les violations des droits des femmes dans les conflits, les protéger des violences sexuelles et sexistes, et soutenir leur participation aux négociations et à la reconstruction post-conflit1.

Dès lors, certaines organisations et alliances régionales et internationales, comme l’Union européenne (UE) ou l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN), adoptent leur propre approche stratégique de l’agenda FPS. On parle alors d’initiatives féministes.

Féminisation et renforcement des idées reçues : des textes audacieux aux réalités limitées

Les résolutions qui composent l’agenda FPS se veulent très ambitieuses : le programme vise à rééquilibrer les rapports de pouvoir entre les genres tout en promouvant une paix mondiale durable et positive2. 

Cinq thématiques sont donc définies : la prévention, la participation, la protection, le soulagement, et un dernier pilier normatif. 

En théorie. 

En réalité, le programme FPS se concentre principalement – voire uniquement – sur les objectifs de participation, de prévention et de protection (seule la résolution 2242, adoptée en 2015, propose une couverture plus équilibrée des questions relevant de tous les piliers). Plus précisément, les choix effectués par les organes onusiens, notamment le Conseil de sécurité, sont principalement orientés vers la protection et la prévention de la violence. La participation réelle des femmes à la gouvernance en matière de paix et de sécurité internationales (c’est-à-dire la façon dont elles sont concrètement impliquées) n’est que peu prise en compte. 

La définition même de l’agenda par l’ONU fait donc preuve d’une forte généralisation et contribue à renforcer les stéréotypes essentialistes sur la propension pacifique des femmes et leur supposée aptitude à résoudre les problèmes de façon consensuelle. L’emploi d’un tel vocabulaire n’est pas sans conséquence tant il favorise le passage sous silence de violences établies par les femmes : « les femmes casques bleus peuvent bien évidemment également contribuer à l’échec des missions et à la culture de l’impunité, et elles-mêmes prendre part à l’exploitation »3.

Dans ce sens, l’agenda FPS est extrêmement limité puisqu’il se contente d’amener un corps féminin à la table des négociations. Pourtant, en réduisant la question de la participation à la simple inclusion ou exclusion des femmes, le programme néglige leur véritable influence en tant qu’actrices de la paix et de la sécurité internationales. Et cela ne permet pas, non plus, d’apporter des réponses politiques solides au problème généralisé de la violence sexuelle et sexiste. 

L’exclusion des femmes des dynamiques internationales est un fait historique qui demeure particulièrement patent dans la diplomatie contemporaine, marquée par une surreprésentation masculine. En 2022, les femmes ne représentaient que 16% des délégations dans les processus de paix menés ou codirigés par l’ONU (contre 19 % en 2021 et 23 % en 2020)4. Ainsi, dans une étude datant de 2018, Karin Aggestam et Ann Towns avancent que ce manque d’égalité découle directement de l’intégration des femmes : un siège à la table des négociations n’a que peu d’importance lorsque l’on n’est pas considérée sérieusement5. 

Et c’est en ce point que réside la plus grande faille de l’agenda FPS : parce qu’il n’aborde pas les dynamiques concrètes de pouvoir entre les genres, il reproduit les dynamiques hétéronormatives qu’il prétend combattre6. Il néglige le fait que, traditionnellement, les négociations et les missions de maintien de la paix sont largement dirigées par des institutions militaires. Cependant, l’armée est un promoteur défectueux de l’égalité de genre, ses structures étant principalement masculines. La plupart des initiatives prises par les acteurs de la sécurité internationale lors des conflits sont influencées par les expériences masculines7.

Il est donc important d’établir une distinction entre le gender balancing, c’est-à-dire augmenter le nombre de femmes pour s’approcher de la parité globale, et le gender mainstreaming qui, en incluant la dimension du genre à tous les niveaux du processus politique, vise une véritable égalité. La perspective de genre doit véritablement imprégner et doit être imprégnée dans les politiques. 

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Le gender mainstreaming met en œuvre des approches intégrant la dimension du genre dans les politiques tant publiques que privées. Cela implique d’adopter une perspective qui, en considérant l’impact des actions sur l’égalité entre les sexes, est consciente des enjeux liés au genre et cherche ainsi à rendre ces politiques moins genrées.

En plus de la prise en compte de ces enjeux, l’objectif est également d’assurer la présence des femmes à tous les niveaux de discussion, de négociation et de prise de décision.

Ainsi, pour l’ONU, « l’égalité des sexes en tant que telle constitue l’objectif de développement global à long terme. L’intégration d’une perspective de genre se compose d’un ensemble d’approches spécifiques et stratégiques ainsi que de processus techniques et institutionnels visant à la réalisation de cet objectif »8. 

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Une initiative féministe limitée : les lacunes du gender mainstreaming onusien

Les aspirations des documents de politique publique ne se reflètent pas dans les différentes sphères de la mise en pratique. Bien que la participation féminine à la paix soit une norme largement acceptée, elle reste principalement théorique et donc peu efficace.

Le nombre de femmes incluses dans les missions de maintien de la paix ne fournit aucune indication sur leur affectation géographique ou les responsabilités qui leur sont confiées. Les femmes sont plus susceptibles d’être déployées dans le cadre de missions d’observation ou politiques dans les situations de conflit grave9. 

Au final, les résultats de l’agenda FPS sont plutôt insatisfaisants.

Aujourd’hui, moins de 10 % des accords de paix sont signés par des femmes10. Depuis l’adoption de la résolution 1325, le nombre global de femmes incluses dans les missions de l’ONU a effectivement augmenté, mais leur participation dans les missions de maintien de la paix et de maintien de l’ordre stagne. En décembre 2021, elles ne représentaient que 7,8% de l’ensemble du personnel militaire, policier, judiciaire et pénitentiaire sur le terrain11. Depuis 2014, sur les 12 missions en cours de l’ONU, seules trois (la MINURSO, l’UNDOF et l’UNFICYP) ont eu une cheffe et/ou une cheffe adjointe. Par ailleurs, en moyenne, elles ont maintenu leurs fonctions pendant une durée quatre fois inférieure à celle de leurs homologues masculins12. 

Il s’agit pourtant d’« indicateurs clés sur la façon dont l’ONU elle-même élargit la participation et intègre la dimension du genre dans sa politique de sécurité »13.

L’interprétation bancale d’un agenda défectueux : le cas de l’OTAN. 

L’idée qu’une plus grande intégration des femmes dans le domaine de la sécurité et de la défense internationales conduirait à une plus grande efficacité dans la résolution des conflits est ainsi le fondement même du programme FPS.

Depuis 2007, cette idée a été reprise par l’OTAN avec sa politique sur l’agenda FPS, puis en 2021, avec son Plan d’Action FPS 2021-2025. Si cette approche de l’OTAN fait état d’une réelle institutionnalisation, l’alliance est plutôt sélective dans sa mise en œuvre. 

L’approche de l’OTAN s’organise principalement autour de la structure GENAD (gender advisors). Autrement dit, à défaut d’augmenter de façon radicale la représentation des femmes, l’alliance a décidé d’introduire des conseillers en matière de genre et mise sur un véritable changement des normes ; non seulement au niveau des idées et des discours, mais aussi au niveau des pratiques quotidiennes via ces nouveaux postes et budgets. Tout ça dans l’objectif de promouvoir la diversité (surtout la participation des femmes) et proposer une analyse de genre pour l’élaboration des politiques et la planification opérationnelle14.

Jusqu’ici, l’accent mis par l’OTAN sur la perspective du genre parait idéal. Même si le cadre politique original des Nations Unies fait défaut, l’OTAN serait donc en mesure de mobiliser le gender mainstreaming pour parvenir à l’égalité de genre. 

Au fond, l’alliance doit surtout faire face à une contrainte majeure : elle ne peut pas dicter à ses États membres combien de femmes envoyer en mission. Par conséquent – et sans réelle surprise – la représentation des femmes dans ses forces armées stagne (10,5 % en 2014 contre 13 % en 202015). Mais, même au niveau de ses quartiers généraux, où elle a pourtant la main mise sur les embauches et les formations, les chiffres ne sont guère plus encourageants. Depuis 2017, le pourcentage de personnel civil féminin reste stable pour atteindre 22 % en 202216. 

En réalité, au sein de l’OTAN, l’intégration de la dimension du genre s’est bureaucratisée17. Le gender mainstreaming a été coopté et sa mise en œuvre a, dans certains cas, été contraire à son objectif initial. La structure GENAD est souvent reléguée au second plan, faute de ressources et de sérieux. L’approche actuelle de la conduite des opérations ignore l’importance de prendre en compte la dimension du genre dans les opérations militaires. L’intention initiale de l’agenda FPS est réinterprétée par la culture militaire pour, in fine, favoriser l’« efficacité opérationnelle »18. La diversité est utilisée pour être militairement plus efficace et non pour introduire une paix durable19. 

Malgré les intentions louables derrière l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, il est clair que ce programme est loin d’atteindre ses objectifs ambitieux. La réalité de sa mise en œuvre révèle des lacunes fondamentales et une approche superficielle qui, au lieu de transformer les dynamiques de pouvoir entre les genres, les renforce.

L’accent mis principalement sur la participation, la prévention et la protection, tout en négligeant de manière flagrante les questions de pouvoir et de représentation réelles des femmes, est symptomatique du manque de volonté de changer les structures patriarcales profondément enracinées. En se contentant d’ajouter des sièges aux tables de négociation, la mise en œuvre de l’agenda FPS perpétue les stéréotypes et les rôles traditionnels assignés aux femmes dans les conflits.

L’exemple de l’OTAN, qui se vante d’introduire des conseillers en matière de genre mais qui peine à effectuer des progrès tangibles en matière de représentation des femmes dans ses opérations, révèle l’hypocrisie de nombreuses initiatives prétendument féministes. Malgré les discours enflammés sur l’égalité de genre, les actions concrètes restent largement insuffisantes et souvent diluées par des intérêts militaires.

En fin de compte, l’agenda FPS risque de devenir une coquille vide, utilisée par les institutions pour se donner bonne conscience sans réellement remettre en question les structures de pouvoir existantes. Pour véritablement transformer les paradigmes de paix et de sécurité internationales, il est impératif de passer d’une approche de surface à une véritable remise en question des normes et des pratiques patriarcales qui continuent à marginaliser les femmes et à perpétuer les cycles de violence.

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  1.  ONU, S/RES/1325, 2000, https://www.un.org/womenwatch/ods/S-RES-1325(2000)-F.pdf.
  2.  Paul Kirby et Laura J. Sheperd, “The futures past of the Women, Peace and Security agenda”, International Affairs, 2016, pp. 373-392.
  3.  Paul Kirby et Laura J. Sheperd, “The futures past of the Women, Peace and Security agenda”, International Affairs, 2016, pp. 373-39, traduction libre. 
  4. ONU, S/2023/725, 2023, https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n23/279/09/pdf/n2327909.pdf?token=lvMPdQKJ6kLXSu0Djp&fe=true 
  5.  Karin Aggestam et Ann Towns, “The gender turn in diplomacy: a new research agenda”, International Feminist Journal of Politics, 2019, pp. 9-28. 
  6. Paul Kirby et Laura J. Sheperd, “The futures past of the Women, Peace and Security agenda”, International Affairs, 2016, pp. 373-392.
  7. Toni Haastrup, “Creating Cinderella? The Unintended Consequences of the Women, Peace and Security Agenda for EU’s Mediation Architecture”, International Negotiation, 2018, pp. 218-237.
  8.  ONU, dernier accès le 9 avril 2024, https://www.unwomen.org/fr/how-we-work/un-system-coordination/gender-mainstreaming  
  9.  Sabrina Karim et Kyle Beardsley, “Female peacekeepers and gender balancing”, International Interactions, 2013, pp. 469-485.
  10. France Culture, dernier accès le 22 avril 2024, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-idees/une-diplomatie-feministe-est-elle-possible-2424292 
  11. ONU, 2021, https://peacekeeping.un.org/sites/default/files/uniformed_women_in_pk_2022_stats_updated.pdf 
  12. ONU, 2022, https://peacekeeping.un.org/en/peacekeeping-missionss-women-senior-leadership 
  13. Paul Kirby et Laura J. Sheperd, “The futures past of the Women, Peace and Security agenda”, International Affairs, 2016, pp. 373-392, traduction libre.
  14.  Stéfanie von Hlatky, “Deploying Feminism in NATO operations”, in S. von Hlatky (dir.) Deploying Feminism, Oxford University Press, 2022, pp. 43-69.
  15. OTAN, 2020, https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2023/6/pdf/2020-summary-national-reports.pdf 
  16. OTAN, 2022, https://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_212795.htm 
  17. Jody M. Prescott, “NATO Gender Mainstreaming”, The RUSI Journal, 2013, pp. 56-62. 
  18. Stéfanie von Hlatky, “Deploying Feminism in NATO operations”, in S. von Hlatky (dir.) Deploying Feminism, Oxford University Press, 2022, pp. 43-69.
  19.  Ibidem.
Crédit photo : OTAN, Titre : L’Agenda Femmes, Paix et Sécurité à l’OTAN à la lumière de la guerre en Ukraine

Couteret Margot

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