“Le mensonge rend vaine la source du droit” E. Kant
Lors de son Sommet Mondial de 2005, l’Assemblée Générale des Nations-Unies a endossé sa « responsabilité de protéger » (R2P). D’abord intitulé droit d’ingérence, puis devoir d’ingérence, cette R2P se définit comme « une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de Sécurité, Conformément à la Charte ; notamment son Chapitre VII, (…) lorsque les moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leur population » . Cette notion se trouve inscrite dans une résolution « réaffirmant », en son Préambule, la volonté de l’Assemblée Générale de « promouvoir le règlement des différends par des moyens pacifiques et conformes aux principes de la justice et du droit international ».
Le Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies, dont il est fait mention dans la définition de la R2P, a pour titre « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ».
Cette responsabilité de protéger participe théoriquement d’une vision de la paix que l’on pourrait qualifier de « positive », c’est-à-dire qu’elle se fonde et qu’elle vise une plus grande intégration de la communauté internationale, sur base d’un code juridique multilatéralement accepté.
L’objectif principal de ce devoir d’ingérence, sous-tendu par une responsabilité de protéger dans le chef de la communauté internationale, marque théoriquement la volonté de la communauté internationale d’instaurer, de consolider et de faire évoluer l’état de droit dans le monde et de prévenir la violation massive et systématique des droits de l’Homme.
L’intervention militaire de l’OTAN en Libye est un exemple type de l’application de cette responsabilité de protéger (qui a d’ailleurs été explicitement engagée dans la Résolution 1973). Une population en grand danger, victime du monopole de la violence dite légitime de son État, est dans une situation telle que la « Communauté internationale » (représentée par le Conseil de Sécurité), sur base de notre commune appartenance à la race humaine et aux droits à la vie et à la sécurité qui leur sont concomitantes, se doit d’engager une intervention armée pour sauver et protéger la population en danger . Cette nécessité de protection, n’ayant pas été clairement identifiée par tous les membres du Conseil de Sécurité, a dû être mise énergiquement en lumière par certains de ses membres.
Les représentants des pays qui sont restés aveugles jusqu’à la fin se font publiquement tancer aujourd’hui par l’ensemble du spectre politique. Aucune position officielle discordante n’est ainsi venue mettre un bémol à cet engouement militariste en rappelant les actions politiques et diplomatiques et les sanctions économiques qui auraient du – et qui n’ont pas réellement été – être concrétisées afin de faire valoir en premier recours une responsabilité de protéger moins violente et réellement sincère.
Ne soyons donc pas sarcastiques en pointant la valse des libérateurs tournoyant autour des mannes pétrolières. Voilà simplement un juste retour sur investissement et une manière toute cordiale de remercier plus particulièrement ceux qui ont fourni le principal de l’effort de guerre, comme l’a d’ailleurs souligné Monsieur Leterme.
Ne nous arrêtons pas non plus sur l’analyse des raisons qui poussent à se sentir investi de la défense de l’humanité ici et pas ailleurs, comme en Égypte où la répression a d’abord été soutenue notamment par la France; ou comme en Syrie où la première batterie de sanctions ne ciblait même pas le Président Syrien lui-même et où le boycott européen du pétrole fraîchement décidé face à l’ « urgence de la situation et la cruauté de la répression » ne sera effectif qu’à la mi-novembre. Il s’agit là en effet de questions d’intérêt d’État si pas légitimes, en tout cas bien réelles et malheureusement constitutives des relations internationales .
Par contre, couplé à ces deux constatations, le danger plus fondamental vient de l’invocation même de la « responsabilité de protéger », désormais principe de droit international, comme prétexte (plus ou moins fallacieux, ce n’est pas le sujet ici) à l’intervention.
En effet, comme en droit interne, un principe de droit doit être universellement applicable et appliqué s’il ne veut pas subir les maux du relativisme et renforcer par là même une conception du droit qui se confonde avec les intérêts politiques particuliers.
Continuer dans ce sens revient à dangereusement cautionner le développement du droit international avec les qualités qui doivent lui être propres : le formalisme, le rationalisme et l’autonomie.Bien sûr, considérant l’apparente contradiction entre droits de l’Homme et souveraineté de l’État, la décision internationale d’une intervention sous couvert de la responsabilité de protéger est le produit d’un dialogue politique où le Conseil de sécurité décide de voir son devoir d’intervention engagé. Les événements actuels en Afrique du Nord et au Moyen-Orient nous rappellent avec forces d’exemples que certains pays se montrent très proactifs quand leurs intérêts sont en jeu… et cruellement très peu responsables de la protection des populations à d’autres endroits.
Encore une fois, la légitimité (qui n’est pas légalité et qui est donc relative) de cette « sphère politique internationale » est douteuse parce que celle-ci est très injustement circonscrite. Il suffit de penser au droit de veto des membres permanents, au refus de l’étendre aux autres continents, ou encore à l’incapacité de l’Assemblée Générale. Autant d’éléments qui lient la politique internationale à la volonté de puissance.
Cette volonté de puissance et l’instrumentalisation de la responsabilité de protéger s’observera tant que sera appliquée le principe de la délégation de l’application des résolutions du Conseil de Sécurité. La sincérité des interventionnistes ne saura trouver de plus grande application qu’un financement des Nations-Unies à hauteur des exigences qui lui sont attribuées. Surtout quand les institutions onusiennes, comme par exemple le Comité d’ État-major, existent et sont laissés en état végétatif.
Ainsi, les appels de Kofi Annan à donner aux Nations Unies la capacité de ses décisions sont toujours restés lettres mortes. A titre d’exemple, un seul des avions furtifs utilisé par les États-Unis pendant la campagne kosovare correspond à l’entièreté du budget des Nations Unies sur un an…
Préférée à cette option, et en contradiction totale avec les prescrits légitimes, l’OTAN s’engage, dans son dernier concept stratégique, à prévenir les crises, à gérer les conflits et à stabiliser les situations post-conflits, notamment en travaillant plus étroitement avec le Conseil de Sécurité de l’ONU (tout en rappelant, bien sûr, la responsabilité primordiale dudit Conseil).
Ainsi, sans ambages, ce concept stratégique rappelle que « la coopération (sic) entre l’OTAN et l’ONU, dans le cadre d’opérations à travers le monde continue à contribuer de manière importante à la sécurité. L’Alliance entend approfondir le dialogue et la coopération pratique avec l’ONU, comme indiqué dans la déclaration signée par les deux organisations en 2008 , notamment au moyen :
- D’une liaison renforcée entre les sièges des deux organisations ;
- De consultations politiques plus régulières ;
- D’une coopération pratique renforcée pour la gestion des crises dans lesquelles les deux organisations interviennent. »
Ce texte signé par les deux Secrétaires Généraux est non seulement illégitime, mais surtout illégal au regard du Traité de Washington (fondation de l’OTAN). Sa légalité par rapport à la Charte des Nations Unies fait elle aussi défaut. Il dépasse en effet les compétences du Secrétaire Général des Nations-Unies et entache profondément l’indépendance de l’institution, surtout quand il prévoit d’ « améliorer la coordination internationale en réponse aux défis globaux » .
Il est le fruit d’un travail de pression exercée sur le Secrétaire Général des Nations-Unies dès le lendemain de la ratification de la Déclaration du Sommet mondial de 2005 ; et nous présente une application machiavélique de cette « responsabilité de protéger ».
L’instrumentalisation continue du droit international et de ses principes les plus nobles continuera son effet de sape de l’édification d’un système multilatéral juste et égalitaire et aura toujours pour effet pervers d’entraîner davantage d’animosité et d’insécurité.
Si la volonté de puissance est constitutif des États, le dire et l’assumer causeront moins de dégâts.