L’avenir de l’armée belge est un sujet qui, sans doute, ne nous laisse pas indifférents. En passant par la déclaration du gouvernement sur sa volonté d’approfondir la présence et l’action de la Belgique au sein de l’OTAN à la problématique de l’achat des F-35 et de leur capacité nucléaire, beaucoup de questions se posent actuellement.
Quel type d’armée voulons-nous? Faut-il remplacer les F-16? Quelle est la place de la Belgique dans l’OTAN? Quelles sont les responsabilités internationales de la Belgique? Toutes ces questions, et plus encore, furent posées lors de la conférence-débat organisée par la CNAPD le 28 avril.
Cette conférence-débat, présentée par Guillaume Defossé (président de la CNAPD) et modérée par Luc Mampaey (GRIP), fut donc l’occasion de présenter la question de l’avenir de l’armée belge, une question d’actualité qui est aussi présente à la Commission de la Défense nationale de la Chambre.
Mais que disent nos politiques sur la question? Nous avons entendu et retranscrit les voix et opinions de André Flahaut (PS) – Ministre d’État et ancien Ministre de la Défense –, Damien Thiery (MR) – Vice-président de la Commission de la Défense de la Chambre –, et Benoit Hellings (Ecolo) – Vice-président de la Commission de la Défense de la Chambre – qui se sont exprimés ce 28 avril lors de ce débat politique enrichi, par la suite, par les questions pertinentes du public.
Après avoir souligné les problèmes de budget et de dépenses militaires, Guillaume Defossé rappelle que les Nations Unies ont identifié les trois causes fondamentales de la violence et des conflits: l’extrême pauvreté, la propagation des maladies infectieuses, et la dégradation de l’environnement. Il interpelle alors nos politiques avec ces questions : peut-on traiter ces causes profondes de la violence avec l’armée? Ces problèmes peuvent-ils être réglés en bombardant? Les interventions passées ont-elles abouti à la paix et à la stabilité ? Notre armée doit-elle être un instrument de défense ou un instrument de politique extérieure comme l’affirme le gouvernement? De plus, nous voyons que des soldats se trouvent dans nos rues: est-ce que l’armée doit se substituer à la police? Aussi, la Belgique possède sur son territoire des armes nucléaires, alors que c’est un pays signataire du Traité de non-Prolifération, est-ce bien normal ? Le remplacement des F-16 est d’ailleurs aussi lié à cette question: est-ce que l’armée belge doit réellement envisager d’acheter des avions ayant la possibilité de larguer des bombes nucléaires?
Un sujet très vaste, donc, qui montre l’importance d’un débat public et démocratique concernant l’avenir de l’armée belge.
En préliminaire, André Flahaut, chargé des relations internationales au PS, affirme que la question de la défense ne peut pas se réduire à une question budgétaire. Pour lui, un plan stratégique pour la Défense belge est nécessaire mais doit absolument s’inscrire dans une perspective de construction d’une politique européenne de sécurité et de défense. Il rappelle que la hiérarchie des priorités pour le gouvernement a changé (Nations Unies, Union européenne, OTAN est devenu OTAN, puis Union européenne, Nations Unies) et que le gouvernement avait décidé ne pas intervenir en Irak.
Pour Damien Thiery, le plus important est de se positionner par rapport à nos alliés potentiels La place de la Belgique est importante dans l’OTAN, car pour lui, “l’OTAN reste une force pacifiste qui a pour effet de prévenir les conflits”. Une vision qui déforme clairement la réalité de ce qu’est cette alliance – rappelons-le – militaire et nucléaire. Damien Thiery affirme qu’il vaut mieux fortifier les partenariats que de travailler seuls. Il défend donc une approche pragmatique selon laquelle la Belgique doit renforcer son implication au sein de l’OTAN pour des raisons stratégiques. À ce sujet, Benoit Hellings affirme que l’ordre de priorité à suivre est Union européenne, Nations Unies et finalement OTAN. Il critique d’ailleurs le glissement budgétaire de 2014 vers l’OTAN, une instance qui ne devrait pas être privilégiée par rapport aux Nations Unies et à l’Union européenne.
Bien que tous les intervenants insistent sur le fait que l’avenir de la Défense et ses volontés d’investissement ne doivent pas être réduits à des questions budgétaires, tous assument que celles-ci constitueront les pierres d’achoppement. Ainsi d’après André Flahaut, si le plan stratégique 2015 doit trouver les moyens d’accomplir les différentes tâches de l’armée (dont aussi le maintien d’une aile médicale valable), il doit aussi tendre vers l’utilisation d’un matériel plus modernisé et moins agressif. Par ailleurs, il estime que le budget de la défense ne doit pas être augmenté. Damien Thiery remarque qu’il faut séparer les chiffres d’un côté, et la politique de l’autre. Dans un contexte d’austérité, on essaie de restructurer et faire des économies dans tous les secteurs, même si, “les conséquences sont dramatiques”. Benoit Hellings, quant à lui, insiste sur le fait que la transparence doit être totale. Les décisions prises par rapport à la Défense sont des décisions très importantes, qui ont un impact sur tout le budget fédéral. À partir du moment où on réclame aux citoyens de faire des efforts, toute décision budgétaire doit se passer dans la transparence la plus totale.
Quid du futur de l’armée ? André Flahaut insiste : les choix doivent se faire au niveau européen, il faut privilégier les investissements européens et développer une défense européenne. Pour Damien Thiery, pour envisager le futur de l’armée, il faut savoir où marquer la limite entre la diplomatie et l’intervention militaire, quelque chose de très complexe selon lui. Il pense que l’armée belge doit garder son identité au niveau européen et mondial mais surtout être reconnue pour son expertise et ses spécificités: le déminage – une spécialisation dont l’usage va être diminué (ndlr) –, et le fait que les pilotes belges soient reconnus par leurs frappes chirurgicales, sans causer des dommages collatéraux. Mais, est-ce que cette spécificité de l’armée belge peut aider à la construction d’un monde plus en paix? Benoit Hellings affirme lui que les interventions militaires du passé n’ont amené ni la paix ni la stabilité dans les pays bouleversés par ces conflits: il faut en assumer le bilan. La solution doit donc d’abord être politique. Il estime qu’il faut privilégier certains secteurs et désinvestir dans d’autres. Les services de renseignement peuvent, selon lui, être très efficaces – tout en respectant les droits et libertés des citoyens –. Quoi qu’il en soit, l’armée ne doit pas intervenir militairement pour faire la guerre: elle doit mener des opérations de paix à l’étranger.
Il est aussi intéressant de remarquer que pour Benoit Hellings l’armée ne doit pas jouer le rôle de la police: le maintien de l’ordre est une fonction de la police, et non pas des militaires. Selon André Flahaut, vu la situation actuelle, aucun ministre n’osera enlever les militaires des rues. Il se demande si des mercenaires privés vont prendre ce rôle, ce qui serait sans doute très dangereux.
Par rapport à la question du remplacement des F-16, André Flahaut insiste à nouveau sur l’importance d’aborder cette problématique dans un cadre européen. C’est un programme très coûteux et il faut voir quel est le projet derrière cet achat pour déterminer si c’est nécessaire. Il s’oppose aussi à la capacité nucléaire des F-35. Benoit Hellings est opposé à l’achat de nouveaux avions de chasse. En effet, nous n’en manquons pas à l’échelle européenne. Pour Benoit Hellings, le F-35 n’est pas une option. D’autant qu’il est lié à la capacité nucléaire, ce qui va à l’encontre des volontés de son parti.
À la fin du débat, plusieurs questions furent posées aux politiques, des questions qui reflètent l’intérêt et l’inquiétude de la société civile en ce qui concerne les guerres et les interventions militaires mais aussi la position de la Belgique vis-à-vis de l’OTAN, les crises humanitaires, l’hypocrisie de nos gouvernements, les privatisations et la présence des mercenaires privés qui jouent le rôle des militaires, le fait que l’armée soit “offensive” – et non pas défensive –, et le fait que l’objectif de la pacification ne soit pas encore atteint, et qu’il ne sera jamais atteint par les réponses qu’on apporte habituellement.
Si le débat fut aussi intéressant qu’intense, celui-ci nous a bel et bien montré que l’avenir de l’armée belge n’est pas encore bien établi et ce, même pour les politiques. Un travail de longue haleine les attend qui sera suivi de très près par la société civile qui entend bien ne pas se faire oublier.
Gemma Pla Pleris.