A L’OCCASION DES 50 ANS DE LA CNAPD, NOUS AVONS DEMANDÉ A DES PERSONNALITÉS QUI ONT MARQUE SON HISTOIRE HIER ET AUJOURD’HUI DE NOUS RACONTER LEURS UTOPIES RÉALISTES OU NON POUR LE FUTUR DES COMBATS POUR LA PAIX ET LA DÉMOCRATIE
Tu sais petit frère, en 2020, on s’est fait très peur.Extrême droite, spectre du retour du fascisme, repli identitaire, cristallisation autour de la question de la migration, croissance des inégalités mondiales, pouvoir croissant des multinationales, échiquier international difficile à lire et perçu comme imprévisible et aux mains de dirigeants qui pourraient « perdre la raison » d’un moment à l’autre, … On avait conscience de l’ampleur des défis sociétaux devant nous mais on perdait foi en le monde politique pour y apporter une réponse.Paolo : Je me souviens avec l’école on avait été manifester pour le climat.Oui ! C’était le début de grandes mobilisations citoyennes sur différents sujets dont le changement climatique. A travers l’Europe, mais aussi ailleurs dans le monde, des mouvements se sont constitués pour réclamer un changement de cap et affirmer la nécessité de coopérer au niveau international. C’est suite à cette impulsion que le Conseil climatique mondial a été créé, ce n’est pas encore parfait mais on est en train de se diriger vers une vraie gouvernance climatique mondiale. Et surtout, la structuration de cette nouvelle organisation autour de l’objectif de forger une dynamique de coopération plutôt que de compétition entre États a forcé les autres organisations internationales à questionner leurs pratiques et engager des réformes structurelles.Paolo : Je ne comprends pas, c’est quoi ce basculement vers la coopération ?Si tu veux, le point de basculement que le Conseil climatique mondial a apporté c’est une exigence de parité hommes-femmes au sein de toutes ses instances. Avant, le monde des relations internationales était extrêmement masculin. En Belgique en 2018, par exemple, l’on ne comptait que 9 femmes ambassadrices contre 71 hommes ambassadeurs. Et ce n’était pas un phénomène isolé, il suffit de se replonger dans les photos de grands moments des relations internationales pour s’en convaincre : pas de femmes sur les photos du Congrès de Versailles de 1919 ou de la rencontre de Yalta en 1944. En 2000, enfin, au « sommet du millénaire » à New-York, l’on dénombre à peine 6 femmes au milieu des 181 chefs d’État et de gouvernement qui entourent le secrétaire général de l’ONU. Cela n’a rien d’anecdotique, on peut dire que la doctrine dominante en relations internationales, celle qui avait façonné les organisations que l’on connaissait alors, était empreinte des biais de ceux qui l’avaient conçue et la mettait en application : les relations internationales avaient été pensées par et pour les hommes blancs cisgenres valides et socio-économiquement bien lotis. En 2000 toujours, l’ONU adoptait une résolution mettant en lumière le silence auquel étaient réduites les femmes dans le cadre des processus de résolution de conflit et le paradoxe que cela représentait sachant la violence systématique, brutale et fréquente dont sont victimes les femmes dans un conflit armé. Cette résolution 1325 exhortait les États à œuvrer à une plus grande représentation des femmes dans la prise de décision au sein des institutions et des mécanismes nationaux, régionaux et internationaux en vue de la prévention, de la gestion et du règlement des différends… 20 ans après, peu de progrès avaient été réalisés… On peut dire que la création du Conseil climatique mondial, sa structuration et les résultats qu’il a rapidement engrangé a donné un grand coup de pied dans la fourmilière.Paolo : Mais en quoi l’absence de femmes était synonyme d’absence de coopération ?Peut-être que les rapports de genre sont une cause fondamentale de la guerre… L’on peut remarquer qu’il y a confusion des notions de nation, de respectabilité et de guerre avec des vertus viriles comme une volonté forte, l’honneur et le courage. Disons que l’on peut observer que les relations internationales sont empreintes d’une dynamique « homme-protecteur » versus « femmes-protégées » (les sociétés civiles en temps de guerre ne sont-elles pas désignées sous le vocable « les femmes et les enfants » ?) ; les hommes font la guerre versus les femmes donnent la vie. Dans le même ordre d’idée, et bien que ce ne soit évidemment pas tout noir ou tout blanc dans la réalité, il semblerait que dans la construction sociale des genres, les femmes sont socialisées autour de la notion de care, elle ne se traduit pas aisément en français disons que c’est le soin. Cette notion est à l’opposé des traits étiquetés comme masculins sur lesquels reposent les principaux concepts utilisés dans l’analyse des relations internationales et qui poussent à adopter une vision (partielle et partiale) du monde qui serait basée sur la compétition entre Etats. Cette vision partielle et partiale vient de l’ignorance totale du rôle des femmes (mères et épouses de soldats, infirmières dans les hôpitaux, prostituées autour des bases, mais aussi actrices au sein des ONG et/ou mobilisées contre la guerre et le militarisme) et conduit à une vision biaisée d’un monde conçu anarchique, c’est-à-dire un monde où il sera de toute façon impossible d’établir un gouvernement mondial et où la paix s’obtiendrait donc par l’équilibre des pouvoirs étant acquis que les Etats sont en compétition naturelle.Paolo : et ce serait quoi les attributs féminins alors ?On n’est encore qu’au balbutiements de ce changement de dynamique, mais la volonté est d’aller vers davantage de dialogue, de care,… Le changement est en train d’opérer : l’ONU devient un cénacle de délibération et de discussions, rôle qui devait être le sien mais était étouffé par les rivalités inter-étatiques à tendance guerrières. La doctrine de la dissuasion nucléaire est en train de s’effondrer et la non-prolifération et le désarmement gagnent du terrain. Les systèmes politiques nationaux deviennent plus participatifs, le pouvoir est davantage partagé, il y a une réflexion sur le temps et la politique, la production d’armes est en baisse, …
Tu sais petit frère, en 2020, on s’est fait très peur.Extrême droite, spectre du retour du fascisme, repli identitaire, cristallisation autour de la question de la migration, croissance des inégalités mondiales, pouvoir croissant des multinationales, échiquier international difficile à lire et perçu comme imprévisible et aux mains de dirigeants qui pourraient « perdre la raison » d’un moment à l’autre, … On avait conscience de l’ampleur des défis sociétaux devant nous mais on perdait foi en le monde politique pour y apporter une réponse.Paolo : Je me souviens avec l’école on avait été manifester pour le climat.Oui ! C’était le début de grandes mobilisations citoyennes sur différents sujets dont le changement climatique. A travers l’Europe, mais aussi ailleurs dans le monde, des mouvements se sont constitués pour réclamer un changement de cap et affirmer la nécessité de coopérer au niveau international. C’est suite à cette impulsion que le Conseil climatique mondial a été créé, ce n’est pas encore parfait mais on est en train de se diriger vers une vraie gouvernance climatique mondiale. Et surtout, la structuration de cette nouvelle organisation autour de l’objectif de forger une dynamique de coopération plutôt que de compétition entre États a forcé les autres organisations internationales à questionner leurs pratiques et engager des réformes structurelles.Paolo : Je ne comprends pas, c’est quoi ce basculement vers la coopération ?Si tu veux, le point de basculement que le Conseil climatique mondial a apporté c’est une exigence de parité hommes-femmes au sein de toutes ses instances. Avant, le monde des relations internationales était extrêmement masculin. En Belgique en 2018, par exemple, l’on ne comptait que 9 femmes ambassadrices contre 71 hommes ambassadeurs. Et ce n’était pas un phénomène isolé, il suffit de se replonger dans les photos de grands moments des relations internationales pour s’en convaincre : pas de femmes sur les photos du Congrès de Versailles de 1919 ou de la rencontre de Yalta en 1944. En 2000, enfin, au « sommet du millénaire » à New-York, l’on dénombre à peine 6 femmes au milieu des 181 chefs d’État et de gouvernement qui entourent le secrétaire général de l’ONU. Cela n’a rien d’anecdotique, on peut dire que la doctrine dominante en relations internationales, celle qui avait façonné les organisations que l’on connaissait alors, était empreinte des biais de ceux qui l’avaient conçue et la mettait en application : les relations internationales avaient été pensées par et pour les hommes blancs cisgenres valides et socio-économiquement bien lotis. En 2000 toujours, l’ONU adoptait une résolution mettant en lumière le silence auquel étaient réduites les femmes dans le cadre des processus de résolution de conflit et le paradoxe que cela représentait sachant la violence systématique, brutale et fréquente dont sont victimes les femmes dans un conflit armé. Cette résolution 1325 exhortait les États à œuvrer à une plus grande représentation des femmes dans la prise de décision au sein des institutions et des mécanismes nationaux, régionaux et internationaux en vue de la prévention, de la gestion et du règlement des différends… 20 ans après, peu de progrès avaient été réalisés… On peut dire que la création du Conseil climatique mondial, sa structuration et les résultats qu’il a rapidement engrangé a donné un grand coup de pied dans la fourmilière.Paolo : Mais en quoi l’absence de femmes était synonyme d’absence de coopération ?Peut-être que les rapports de genre sont une cause fondamentale de la guerre… L’on peut remarquer qu’il y a confusion des notions de nation, de respectabilité et de guerre avec des vertus viriles comme une volonté forte, l’honneur et le courage. Disons que l’on peut observer que les relations internationales sont empreintes d’une dynamique « homme-protecteur » versus « femmes-protégées » (les sociétés civiles en temps de guerre ne sont-elles pas désignées sous le vocable « les femmes et les enfants » ?) ; les hommes font la guerre versus les femmes donnent la vie. Dans le même ordre d’idée, et bien que ce ne soit évidemment pas tout noir ou tout blanc dans la réalité, il semblerait que dans la construction sociale des genres, les femmes sont socialisées autour de la notion de care, elle ne se traduit pas aisément en français disons que c’est le soin. Cette notion est à l’opposé des traits étiquetés comme masculins sur lesquels reposent les principaux concepts utilisés dans l’analyse des relations internationales et qui poussent à adopter une vision (partielle et partiale) du monde qui serait basée sur la compétition entre Etats. Cette vision partielle et partiale vient de l’ignorance totale du rôle des femmes (mères et épouses de soldats, infirmières dans les hôpitaux, prostituées autour des bases, mais aussi actrices au sein des ONG et/ou mobilisées contre la guerre et le militarisme) et conduit à une vision biaisée d’un monde conçu anarchique, c’est-à-dire un monde où il sera de toute façon impossible d’établir un gouvernement mondial et où la paix s’obtiendrait donc par l’équilibre des pouvoirs étant acquis que les Etats sont en compétition naturelle.Paolo : et ce serait quoi les attributs féminins alors ?On n’est encore qu’au balbutiements de ce changement de dynamique, mais la volonté est d’aller vers davantage de dialogue, de care,… Le changement est en train d’opérer : l’ONU devient un cénacle de délibération et de discussions, rôle qui devait être le sien mais était étouffé par les rivalités inter-étatiques à tendance guerrières. La doctrine de la dissuasion nucléaire est en train de s’effondrer et la non-prolifération et le désarmement gagnent du terrain. Les systèmes politiques nationaux deviennent plus participatifs, le pouvoir est davantage partagé, il y a une réflexion sur le temps et la politique, la production d’armes est en baisse, …