L’observatoire internationale de justice juvénile publie un livre blanc. Ce livre blanc examine les lois, les politiques et les pratiques relatives au traitement des enfants présumés, accusés ou reconnus coupables d’infractions liées au terrorisme. Il a vu le jour afin de répondre à un intérêt croissant des États membres de l’Union européenne quant à la prise en charge des enfants soupçonnés d’être impliqués dans des crimes liés au terrorisme, à la fois pour assurer la sécurité publique et les droits de l’enfant. Il est dirigé par l’Observatoire International de Justice Juvénile dans neuf pays européens.
Il formule des recommandations spécifiques et il aboutit à quatre conclusions fondamentales :
- Les États ont le devoir primordial de protéger la société des menaces sévères et des dangers liés aux activités de groupes terroristes ou extrémistes violents. Tout en assurant la sécurité de la société, les États ont le devoir de protéger et de respecter les droits des enfants présumés, accusés ou reconnus coupables d’une infraction terroriste.[i]
- La conséquence est une réduction progressive de l’utilisation des systèmes spécialisés de justice juvénile pour les enfants. Cela se remarque, par exemple, dans l’élargissement de l’utilisation des «pouvoirs spéciaux d’investigation» sur les enfants ; dans l’adoption d’un âge minimum de la responsabilité pénale plus bas pour les infractions terroristes (et autres infractions graves) que pour les infractions pénales «ordinaires» ; dans la prolongation de la période pendant laquelle les enfants peuvent être placés en détention provisoire pour des infractions liées au terrorisme ; et enfin dans le transfert des enfants d’un système de justice pour mineurs vers un système pour adultes en vue d’un procès et/ou d’une condamnation.
- Il est préférable de mettre en place des systèmes de justice spécialisés pour les enfants axés sur : des mesures d’enquête équitables et proportionnées ; le détournement des enfants des systèmes de justice formels ; la défense du droit à un procès équitable ; le recours à la détention comme mesure de dernier recours ; une sentence des enfants de manière proportionnée et en tenant compte de leur situation personnelle ; et la réhabilitation et la réintégration de l’enfant dans sa communauté afin qu’il puisse continuer à avoir une vie constructive.
- Les enfants présumés impliqués dans des infractions terroristes ont également souvent été victimes de recrutement et d’exploitation par des groupes terroristes et extrémistes violents. Cela soulève de nombreuses questions sur les mesures dans lesquelles ils peuvent être tenus pénalement responsables de tout comportement délictueux et dans quelle mesure leur victimisation devrait être prise en compte à différents stades de la procédure pénale.[1] Cela soulève également des préoccupations quant à la meilleure façon de réagir aux abus ou à la violence auxquels ils ont été exposés et aux moyens d’atténuer toute stigmatisation et marginalisation connexes au sein de leurs communautés et de leurs familles.
- Les normes internationales en matière de justice pour enfants doivent être respectées
- Toutes les réponses face aux enfants accusés, inculpés ou reconnus coupables d’activités liées au terrorisme doivent être fermement ancrées dans les lois et normes internationales et régionales relatives aux droits humains, qui sont des principes universellement applicables et qui s’appliquent à tous les enfants, quelle que soit la gravité ou la nature de l’infraction en question.
- Un système de justice spécialisé devrait être utilisé en tant que juridiction et autorité principale pour répondre aux besoins des enfants accusés, inculpés ou condamnés pour des infractions liées au terrorisme.
- Un système de justice spécialisé peut aider l’enfant à jouer un rôle constructif dans la société et à lutter efficacement et rapidement contre son comportement délinquant, en fonction de son âge, de sa maturité et de son développement.
- Les droits des enfants revenant des zones de conflit doivent être respectés
- Tout en reconnaissant la relation complexe entre la victimisation et le comportement délinquant, les enfants revenant de zones d’activités terroristes doivent être traités de manière à identifier et reconnaître qu’ils sont avant tout des victimes plutôt que des menaces à la sécurité et qu’ils peuvent avoir besoin d’un soutien pour leur rétablissement physique et mental et pour leur réinsertion sociale. Ils ne devraient être poursuivis en justice qu’en dernier recours.
- Il faut faire preuve de prudence dans le choix des accusations liées au terrorisme
- Les enfants ne doivent pas être poursuivis en justice pour leur association avec un groupe terroriste ou extrémiste violent, en particulier s’ils ont été recrutés et exploités par ce groupe.
- Les enfants ne doivent pas être criminalisés de manière disproportionnée ou non nécessaire pour avoir exprimé des opinions, souvent en ligne, perçues comme glorifiant ou incitant le terrorisme.
- L’âge minimum de responsabilité pénale devrait être appliqué de manière uniforme
- L’âge minimum de la responsabilité pénale devrait être appliqué de manière cohérente à tous les enfants en conflit avec la loi, indépendamment de la nature ou de la gravité de l’infraction.
- Il faudrait envisager d’étendre les garanties procédurales et les protections aux jeunes adultes.
- La déjudiciarisation devrait être une option valable pour les infractions liées au terrorisme
- Dans la mesure du possible, les enfants présumés, accusés ou reconnus coupables d’une infraction liée au terrorisme devraient être traités par voie de déjudiciarisation et en dehors du système de justice pénale formel. En effet, l’entrée dans le système de justice pénale crée des risques supplémentaires de recrutement par des groupes extrémistes terroristes et violents.
- Les mesures de déviation existantes devraient être revues pour identifier de quelle manière elles sont appliquées dans les affaires liées au terrorisme impliquant des enfants dans les États membres de l’UE, afin de mieux comprendre comment elles peuvent être utilisées le plus efficacement possible.
- Les professionnels de la justice (juges, avocats, procureurs) doivent être mieux formés et qualifiés pour utiliser des mesures de déjudiciarisation dans les affaires liées au terrorisme.
- Les enfants sont vulnérables pendant l’investigation et l’arrestation et leurs droits doivent être respectés
- Au cours des enquêtes, les responsables de l’application des lois doivent protéger les enfants contre la violence et les dommages, défendre le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, et promouvoir la réadaptation et la réinsertion de l’enfant.
- Les enfants placés en détention provisoire doivent bénéficier de protections et de garanties, notamment l’accès à un avocat et leur transfert vers un tribunal dans un délai de 24 heures.
- Les enfants accusés d’infractions liées au terrorisme ont droit à un procès équitable
- Les cas liés à des activités terroristes impliquant des enfants en tant qu’accusés ne devraient en aucun cas être transférées dans le système pénal pour adultes.
- Le droit des enfants à un procès juste et équitable doit être garanti et, en particulier, les cas devraient être étudiés sans retard, en utilisant des procédures garantissant leur droit d’être entendus et leur droit à la vie privée.
- Les enfants devraient avoir accès à un avocat tout au long du procès. 8. La détention provisoire ne devrait pas être une option par défaut
- La détention provisoire ne devrait pas être une option par défaut pour les enfants en attente d’un procès pour une infraction liée au terrorisme.
- Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour examiner l’efficacité des mesures de substitution non privatives de liberté pour assurer la sécurité publique.
- Si un enfant est en détention provisoire, un plan individualisé de réadaptation devrait être élaboré et mis en œuvre pour garantir sa santé, son développement physique et mental et sa réinsertion.
- La sentence devrait être proportionnée et individualisée
- La détermination de la peine devrait toujours être proportionnelle à la situation de l’enfant et de l’infraction et préférablement devant un tribunal spécialisé pour enfants.
- Des sanctions non privatives de liberté doivent être mises à disposition et les professionnels juridiques doivent pouvoir demander à les utiliser en toute confiance.
- Le public devrait être sensibilisé sur son efficacité à renforcer la sécurité publique et à réduire le risque de récidive.
- La réadaptation et la réinsertion sont des objectifs primordiaux
- L’objectif explicite de la détention d’enfants condamnés pour des infractions liées au terrorisme devrait être de contribuer à leur réadaptation et de garantir leur réinsertion dans la société à l’issue de leur peine.
- Les enfants ne devraient pas être automatiquement séparés des autres enfants dans un établissement en fonction du type d’infraction dont ils ont été accusés ou condamnés, mais sur la base d’une évaluation des risques individualisée concernant le type de soins requis et les risques spécifiques liés à l’usage de la violence.
- Les programmes de réinsertion axés sur le désengagement de la violence devraient être mis en place de manière à tenir compte des conséquences contre-productives de l’étiquetage et de la stigmatisation d’un enfant et du renforcement de son identité en tant que «terroriste». L’impact de ces programmes doit être soigneusement suivi et évalué.
- Les filles privées de liberté méritent de recevoir une attention particulière à leurs besoins spécifiques. · Le personnel travaillant dans les établissements devrait être choisi en fonction de leur intégrité, de leur humanité et de leur capacité professionnelle à s’occuper des enfants.
- Faire preuve de retenue lors de l’application de mesures administratives aux enfants
- Des mesures administratives ne devraient être imposées aux enfants que selon les procédures tenant compte de la nécessité d’agir dans leur intérêt supérieur.
- Les enfants doivent pouvoir disposer d’un recours utile et efficace et contester l’imposition de ces mesures administratives.
- La collaboration multi-agences et la formation sont essentielles et doivent être renforcées
- Compte tenu de la complexité des affaires dans lesquelles des enfants sont impliqués dans des infractions liées au terrorisme, il est nécessaire d’adopter une approche reposant sur plusieurs agences, qui implique une collaboration et une coopération entre différents acteurs, tels que la police, les experts de la lutte antiterroriste, les autorités de poursuite, les tribunaux, les services de probation, les centres de détention, les familles, les écoles et les services sociaux.
- Bien qu’il n’y ait pas de modèle idéal, l’expérience montre qu’il peut être utile d’avoir : des indications claires sur le partage d’informations afin d’améliorer le flux de données et d’informations sur les enfants ainsi que sur les rôles et responsabilités spécifiques assignés à chaque agence ; un gestionnaire de cas pour diriger et coordonner le processus ; des partenariats construits au niveau local ; et une relation forte avec les organisations de la société civile.
- Les professionnels devraient recevoir, au besoin, une formation spécialisée qui s’appuie sur leurs connaissances actuelles des droits de l’enfant et du développement de l’enfant.