L’Europe traverse une période critique. La guerre en Ukraine, l’instabilité géopolitique mondiale et les déclarations (pas toujours fiables) du président étasunien en fonction de désengagements stratégiques des Etats-Unis, poussent l’Union Européenne à réinterroger comment elle assure sa sécurité. Elle se cherche une nouvelle identité, pour continuer à être pertinente sur la scène internationale.

Face à ces défis, la Commission européenne, sous la direction d’Ursula von der Leyen, propose un plan baptisé « Réarmer l’Europe ». Derrière ce titre guerrier, se cache une logique dangereuse qui menace les fondements mêmes du projet européen de paix, et plus gravement invoque l’urgence pour prendre des mesures qui engagerait, illégalement, l’UE dans une économie de guerre.

Un plan qui tourne le dos à l’esprit fondateur de l’Union européenne

L’Union européenne est née d’une volonté claire: prévenir la guerre en favorisant la coopération et la diplomatie. La Déclaration Schuman de 1950 avait pour ambition de rendre toute guerre entre nations européennes non seulement impensable, mais impossible. Le choix des mots dans ce plan n’est pas anodin : parler de « réarmement » normalise une logique de confrontation et d’escalade au lieu de prôner la prévention et le dialogue. La posture internationale de l’UE, jusqu’en 2015, qui tirait parti de son attrait économique, culturel et politique pour façonner les normes à l’échelle mondiale semble être impitoyablement abandonnée au profit d’une logique de surenchère à l’armement.

L’UE devrait être une force de paix sur la scène internationale, promotrice des objectifs de développement durable, et non un acteur qui alimente la militarisation mondiale. En encourageant les investissements massifs dans l’armement, elle risque de provoquer une course à l’armement, déstabilisant encore davantage la situation internationale.

Une approche qui met en péril la sécurité globale

Le principal argument avancé pour justifier ce plan est la nécessité de se préparer face aux menaces. Pourtant, l’histoire démontre que l’accumulation d’armes n’a jamais garanti la paix. Bien au contraire, une posture agressive accroît les tensions avec les voisins et approfondit les divisions plutôt que de les résoudre. Face à la montée des conflits, l’UE devrait privilégier des investissements dans la diplomatie, la prévention des crises et la médiation internationale, plutôt que de s’engager dans une escalade militaire coûteuse et risquée.

Une procédure illégale et un financement inacceptable

Illégalité de la procédure:

Le plan « Réarmer l’Europe » soulève des questions juridiques et éthiques majeures. La Commission européenne propose d’utiliser l’article 122 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), un dispositif conçu pour les situations d’urgence, afin de contourner le Parlement européen, seule institution représentative des citoyens. Une manœuvre qui trahit le principe démocratique et qui pourrait avoir des conséquences durables sur la gouvernance européenne, vise à imposer un plan de long terme qui endettera nos générations à venir sous couvert d’urgence. En effet, Ursula von der Leyen a explicitement déclaré que ce plan s’appliquerait pour les dix prochaines années, ce qui  dépasse largement le cadre temporaire prévu par l’article 122 TFEU.

Pour rappel, l’article 122 TFEU a été utilisé dans le passé afin de prendre des mesures urgentes dans les situations suivantes:

  • La dette de la Grèce et sauvetage de l’euro (pour lequel l’article 122 a finalement été écarté par la Cour de justice de l’Union européenne car ne pouvait pas servir de base légale pour des mesures de long terme ou pour des plans de sauvetage financier massifs).
  • La santé (COVID),
  • L’approvisionnement énergétique (guerre Ukraine).

Dans ce cadre spécifique, ReArm Europe est un plan qui ne vise pas à prendre une mesure urgente, mais à “défendre” les citoyens de l’Union, dans les années à venir, contre les menaces d’une guerre potentielle. En d’autres termes, il est évident que le cadre juridique de l’article 122 utilisé pour le plan de “réarmement” n’est pas une mesure temporaire, mais est destiné, comme l’admet elle-même la Présidente Von der Leyen dans sa lettre, à s’appliquer au moins pour la prochaine décennie1. Les solutions pour s’assurer de la légalité de ce plan sont, soit, l’application de l’article 352.1 TFEU(2), qui prévoit, après décision à l’unanimité du conseil, la participation du parlement européen et un débat démocratique, soit, considérant la presque impossibilité de l’unanimité du Conseil compte tenu des divergences catégoriques sur la question de la défense, d’introduire le plan dans la régulation EDIP en cours de discussion (European Defense Investment Program ou Programme pour l’investissement de la défense européenne).

Financement sur le dos de la sécurité sociale, de l’environnement et de la paix

Outre l’illégalité de la prise de décision du plan, politiquement, il s’en va de questionner où les dirigeants de l’Union veulent nous mener, car à la surprise générale, son financement (à hauteur de 800 milliards!)  repose en partie sur les fonds de cohésion européens, initialement prévus pour réduire les inégalités régionales et financer la relocalisation des industries clés pour la transition écologique, s’assurer un plus grand taux d’emploi au niveau européen,… Tout au plus, ce que la Commission prouve à l’heure actuelle, c’est qu’elle est en mesure de dégager des fonds gargantuesques pour faire face à des crises, mais qu’elle n’estime pas que le développement durable, l’éducation, la santé, et la lutte contre le changement climatique, soient des politiques qui méritent de mobiliser les ressources nécessaires.

 

Refusons une Europe militarisée, revendiquons une Europe pacifique et solidaire

Nous ne pouvons accepter que l’UE s’engage dans une voie qui nous rapproche du conflit plutôt que de la paix. Nous appelons toutes les forces progressistes, pacifistes et attachées aux valeurs de justice afin d’exiger :

  • Une politique européenne axée sur la diplomatie, le dialogue et la médiation internationale, afin de prévenir les conflits plutôt que de les alimenter.
  • Un réinvestissement massif dans la transition écologique, l’éducation et la santé, véritables remparts contre l’instabilité et les inégalités.
  • Un respect strict des processus démocratiques en Europe, en refusant tout contournement du Parlement européen et en garantissant la transparence des décisions.

L’Europe a un rôle crucial à jouer sur la scène internationale, mais ce rôle doit être celui d’un artisan de paix, et non d’un acteur qui alimente les tensions mondiales. En réaffirmant son engagement en faveur de la coopération, de la solidarité et de la démocratie, l’UE peut retrouver sa pertinence et incarner un modèle de stabilité et de progrès pour le monde.

Giulia Contes, Co-présidente de la CNAPD

  1. https://free-group.eu/

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.