Durant le mois d’octobre, une délégation, emmenée par le Comité belge de soutien au peuple saharaoui, s’est rendue dans les camps de réfugiés, au Sahara occidental. Au départ de mon expérience marocaine en passant par mon arrivée à la CNAPD pour finalement m’attarder sur le retour de mon collègue dans les camps sahraouis, qu’ai-je compris de la mission civile dans les camps sahraouis ? Quel est mon ressenti ? Comment j’entrevois cette mission ? Quelle en est mon expérience ?
Ce témoignage fait suite à la matinée de retour sur la mission civiles dans les camps sahraouis dont mon collègue a participé.Tout ce que j’en savais venait de mon expérience marocaine et se résumait en trois phrases qui voulaient dire « on ne parle pas de ça ici ». Mon point de départ était celui-là : je voyais et concevais la population sahraouie sous forme de manifestations ou d’occupations que j’avais pu voir dans les rues à Rabat. Je retiens qu’ils étaient habillés différemment des marocains que je côtoyais. Je les voyais, simplement, dans les rues, occupant l’espace de manière noble et sans violence. Ils étaient juste là. Sans que je puisse comprendre le sens de cette occupation ni ce pourquoi ils étaient là. Et quand je demandais à mes collègues marocains : « Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils là ? Ils me répondaient brièvement que c’était des gens qui voulaient « l’indépendance d’une partie de territoire appartenant au Maroc ». Point à la ligne, j’en restais là et ne posais pas plus de questions. Je sentais qu’elles n’étaient pas les bienvenues…Alors quand je suis arrivée à la CNAPD, peu de temps après mon retour de Rabat, et qu’on m’a parlé de Palestine au même titre que des camps sahraouis, je n’ai pas compris tout de suite le lien. Par contre, très vite, j’ai compris que ma croyance qu’il s’agirait d’« un peuple qui volerait une partie du Maroc » est en fait peut-être un peu plus complexe que cela. Je me suis questionnée. Mes collègues m’ont parlé de leur expérience dans les « camps », j’ai saisi alors qu’une occupation d’un espace semblait nécessaire. On m’a parlé de réfugiés. On m’a parlé d’un comité belge de soutien au peuple sahraoui. Soutien ? Camps ? Réfugiés ? Besoin d’espace ? Territoire occupé ? Occupation ? Violation des droits humains ? Pillage ? Bien, bien. Ce choix des mots a donné un tout autre sens, un sens nouveau. Un sens plus juste ? Mes croyances étaient-elles faussées ? Bien vu. Mais par quoi ? Je le comprendrai plus tard.En octobre 2019, mon collègue le plus proche est parti en mission civile dans les camps saharaouis, avec trois personnes, pour ramener des témoignages et créer un débat en Belgique autour de cette question. Ils y ont rencontré les gens, les autorités, les associations locales pour comprendre ce qui s’y passe. Ils y sont allés pour voir, ressentir, vivre un quotidien. Le quotidien des sahraouis. Je me suis alors demandé : quels sont leurs besoins ? Qu’est-ce qu’ils demandent ? Qu’est-ce qu’ils veulent les Sahraouis ?A son retour, il me parle d’une ancienne colonie espagnole, de mouvement de libération (le Front Polisario), d’un référendum (jamais organisé finalement), d’indépendance, de conflit armé et violent, d’un mur. Encore un. Un mur de sable cette fois. Et ça je sais que ça veut dire : des frontières. Et quelles frontières ? Celles de nos esprits ou celles d’un espace que l’on veut délimiter pour dire « ceci m’appartient » ? Et c’est le Maroc qui a construit ce mur. C’est le Maroc qui occupe une partie du Sahara. Mais pourquoi ? Pour l’argent ? Les ressources naturelles ? Oui, Alix, cesse d’être si naïve, il est évident que c’est pour l’eau, le phosphate, le poisson. Et personne ne veut lâcher le territoire ou le morceau. On me parle, non pas d’un mur, mais, de six murs. Six murs avec des mines antipersonnel. Effectivement, c’est bien une occupation. Une occupation violente. Et c’est peu de le dire : il y aurait encore des millions de mines encore ensevelies. Mon collègue décrit ce mur comme un mur qui permet l’imperméabilité au sens premier du terme : tout ce qui est en dehors de ce mur de sable est aride, sec, invivable, incultivable, d’une sécheresse catastrophique.Et je commence (enfin ?) à comprendre l’ampleur de ce mur : 175 000 réfugiés à Tindouf parce que le territoire est « occupé ». Une chose ne cesse de me questionner : pourquoi le Maroc ne permet-il pas ce référendum ? Je ne comprends pas pourquoi. Enfin si, j’ai compris qu’il était question d’argent et de ressources. Mais ça me révolte ! Jamais un État ne demande le consentement d’une population ? Jamais on ne demande aux gens qui vivaient là-bas ? Jamais on ne questionne ce que la communauté sahraouie voudrait réellement et sincèrement ?Oui, je parle de communauté, au sens premier du terme : des humains qui se sont unis autour de règles pour pouvoir vivre ensemble, cohabiter, se construire, s’instruire. Ils ne demandent rien, ils sont organisés, ils sont en mesure d’organiser un État, ils demandent juste un territoire, un lieu, un espace, un endroit pour être. Ils sont indépendants mais n’ont plus de lieu où vivre cette indépendance. Ce qu’ils souhaitent, c’est de l’espace. Ils demandent « simplement » à rentrer chez eux. Et quand j’entends la combinaison de mots « rentrer chez soi », d’après moi, c’est l’affirmation typique des personnes demandant refuge.Lorsque le mot réfugié est placé, jamais loin de moi s’impose l’idée de « l’aide humanitaire ». Ces réfugiés-là, ils vivent avec l’aide humanitaire. Vous avez dit « aide humanitaire » ? La rustine, le pansement sur une plaie encore ouverte ? Évidemment, on s’en doute et je le sais. Mais c’est tout ? Je suis persuadée, très vite, qu’ils savent vivre sans ces « aides » tant ils font communauté. Et ils savent vivre sans cela. Ils peuvent cultiver, élever, s’éduquer.Justement parlons-en de l’éducation : ce groupe parti en mission civile m’explique que la jeunesse sahraouie est très instruite, intelligente, une des plus éduquée d’Afrique. Par contre, cette jeunesse éduquée n’est plus convaincue que la violence ne soit pas une solution. Ça me parle. La violence. Cette jeunesse, ayant des compétences politiques très fortes, nourrit des élans de violence. Ils ont atteint ce point de non-retour au cours duquel, aucune solution politique n’étant possible, la seule solution de clairvoyance reste la violence. Une violence mortelle mais qui l’est déjà au vu de leur condition de vie et d’existence. Ils sont ingénieurs, avocats, médecins et il ne se passe rien pour eux, ils n’ont rien à faire. Ils ne voient pas d’avenir. Ils sont en colère. Et je les comprends.Alors qu’au départ, naïvement, je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient en les voyant dans les rues de Rabat, maintenant, je me pose des questions de jeune blanche éduquée et née dans un pays riche : mais quelle carte d’identité ont-ils ? Quelle nationalité possèdent-ils ? Sont-ils inscrits dans une commune ? Dans quel hôpital se font-ils soigner ? Et surtout, pourquoi on n’en parle pas ? Pourquoi cette « censure » ? Et pourquoi j’étais persuadée qu’il s’agissait d’une population éparse et peu unie ? Est-ce le résultat d’une simple propagande émanant du Maroc dont je suis victime, comme tous et toutes ? Est-ce si facilement résumable ? Je ne trouve pas de réponses à toutes ces questions. Mais j’en reviens à mon point de départ : que fait le Maroc ? Que fait la Belgique sachant que 9% des mines récoltées sont de fabrication belge ? Que fait la communauté internationale ? Et la boucle est bouclée. Et moi, en Belgique qu’est-ce que je peux faire ? M’y rendre, moi aussi comme mes collègues, un jour ? Faire un témoignage ? En parler ? Sensibiliser ? Ou comme en Irlande, faire en sorte qu’on interdise les produits provenant de tous territoires occupés ?En plus de ces questions auxquelles je ne trouve que très peu de réponses pour l’instant, ce que je retiens de ce retour de la mission civile dans les camps sahraouis ce sont les notions de liberté, de dignité et d’unité. L’unité autour d’un projet commun de fonder un État et récupérer un territoire. La dignité dans l’organisation, dans les liens, les habillements, les postures et les prières. Et la liberté qu’a ressenti mon collègue en se sentant libre de rentrer en contact avec chacun d’eux. Mais aussi, la liberté exigée par ce peuple (nomade à l’origine) forcé de se diriger vers le désert, vers une zone non propice à la vie, plutôt que, comme l‘instinct naturel voudrait, vers la mer.
Ce témoignage fait suite à la matinée de retour sur la mission civiles dans les camps sahraouis dont mon collègue a participé.Tout ce que j’en savais venait de mon expérience marocaine et se résumait en trois phrases qui voulaient dire « on ne parle pas de ça ici ». Mon point de départ était celui-là : je voyais et concevais la population sahraouie sous forme de manifestations ou d’occupations que j’avais pu voir dans les rues à Rabat. Je retiens qu’ils étaient habillés différemment des marocains que je côtoyais. Je les voyais, simplement, dans les rues, occupant l’espace de manière noble et sans violence. Ils étaient juste là. Sans que je puisse comprendre le sens de cette occupation ni ce pourquoi ils étaient là. Et quand je demandais à mes collègues marocains : « Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils là ? Ils me répondaient brièvement que c’était des gens qui voulaient « l’indépendance d’une partie de territoire appartenant au Maroc ». Point à la ligne, j’en restais là et ne posais pas plus de questions. Je sentais qu’elles n’étaient pas les bienvenues…Alors quand je suis arrivée à la CNAPD, peu de temps après mon retour de Rabat, et qu’on m’a parlé de Palestine au même titre que des camps sahraouis, je n’ai pas compris tout de suite le lien. Par contre, très vite, j’ai compris que ma croyance qu’il s’agirait d’« un peuple qui volerait une partie du Maroc » est en fait peut-être un peu plus complexe que cela. Je me suis questionnée. Mes collègues m’ont parlé de leur expérience dans les « camps », j’ai saisi alors qu’une occupation d’un espace semblait nécessaire. On m’a parlé de réfugiés. On m’a parlé d’un comité belge de soutien au peuple sahraoui. Soutien ? Camps ? Réfugiés ? Besoin d’espace ? Territoire occupé ? Occupation ? Violation des droits humains ? Pillage ? Bien, bien. Ce choix des mots a donné un tout autre sens, un sens nouveau. Un sens plus juste ? Mes croyances étaient-elles faussées ? Bien vu. Mais par quoi ? Je le comprendrai plus tard.En octobre 2019, mon collègue le plus proche est parti en mission civile dans les camps saharaouis, avec trois personnes, pour ramener des témoignages et créer un débat en Belgique autour de cette question. Ils y ont rencontré les gens, les autorités, les associations locales pour comprendre ce qui s’y passe. Ils y sont allés pour voir, ressentir, vivre un quotidien. Le quotidien des sahraouis. Je me suis alors demandé : quels sont leurs besoins ? Qu’est-ce qu’ils demandent ? Qu’est-ce qu’ils veulent les Sahraouis ?A son retour, il me parle d’une ancienne colonie espagnole, de mouvement de libération (le Front Polisario), d’un référendum (jamais organisé finalement), d’indépendance, de conflit armé et violent, d’un mur. Encore un. Un mur de sable cette fois. Et ça je sais que ça veut dire : des frontières. Et quelles frontières ? Celles de nos esprits ou celles d’un espace que l’on veut délimiter pour dire « ceci m’appartient » ? Et c’est le Maroc qui a construit ce mur. C’est le Maroc qui occupe une partie du Sahara. Mais pourquoi ? Pour l’argent ? Les ressources naturelles ? Oui, Alix, cesse d’être si naïve, il est évident que c’est pour l’eau, le phosphate, le poisson. Et personne ne veut lâcher le territoire ou le morceau. On me parle, non pas d’un mur, mais, de six murs. Six murs avec des mines antipersonnel. Effectivement, c’est bien une occupation. Une occupation violente. Et c’est peu de le dire : il y aurait encore des millions de mines encore ensevelies. Mon collègue décrit ce mur comme un mur qui permet l’imperméabilité au sens premier du terme : tout ce qui est en dehors de ce mur de sable est aride, sec, invivable, incultivable, d’une sécheresse catastrophique.Et je commence (enfin ?) à comprendre l’ampleur de ce mur : 175 000 réfugiés à Tindouf parce que le territoire est « occupé ». Une chose ne cesse de me questionner : pourquoi le Maroc ne permet-il pas ce référendum ? Je ne comprends pas pourquoi. Enfin si, j’ai compris qu’il était question d’argent et de ressources. Mais ça me révolte ! Jamais un État ne demande le consentement d’une population ? Jamais on ne demande aux gens qui vivaient là-bas ? Jamais on ne questionne ce que la communauté sahraouie voudrait réellement et sincèrement ?Oui, je parle de communauté, au sens premier du terme : des humains qui se sont unis autour de règles pour pouvoir vivre ensemble, cohabiter, se construire, s’instruire. Ils ne demandent rien, ils sont organisés, ils sont en mesure d’organiser un État, ils demandent juste un territoire, un lieu, un espace, un endroit pour être. Ils sont indépendants mais n’ont plus de lieu où vivre cette indépendance. Ce qu’ils souhaitent, c’est de l’espace. Ils demandent « simplement » à rentrer chez eux. Et quand j’entends la combinaison de mots « rentrer chez soi », d’après moi, c’est l’affirmation typique des personnes demandant refuge.Lorsque le mot réfugié est placé, jamais loin de moi s’impose l’idée de « l’aide humanitaire ». Ces réfugiés-là, ils vivent avec l’aide humanitaire. Vous avez dit « aide humanitaire » ? La rustine, le pansement sur une plaie encore ouverte ? Évidemment, on s’en doute et je le sais. Mais c’est tout ? Je suis persuadée, très vite, qu’ils savent vivre sans ces « aides » tant ils font communauté. Et ils savent vivre sans cela. Ils peuvent cultiver, élever, s’éduquer.Justement parlons-en de l’éducation : ce groupe parti en mission civile m’explique que la jeunesse sahraouie est très instruite, intelligente, une des plus éduquée d’Afrique. Par contre, cette jeunesse éduquée n’est plus convaincue que la violence ne soit pas une solution. Ça me parle. La violence. Cette jeunesse, ayant des compétences politiques très fortes, nourrit des élans de violence. Ils ont atteint ce point de non-retour au cours duquel, aucune solution politique n’étant possible, la seule solution de clairvoyance reste la violence. Une violence mortelle mais qui l’est déjà au vu de leur condition de vie et d’existence. Ils sont ingénieurs, avocats, médecins et il ne se passe rien pour eux, ils n’ont rien à faire. Ils ne voient pas d’avenir. Ils sont en colère. Et je les comprends.Alors qu’au départ, naïvement, je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient en les voyant dans les rues de Rabat, maintenant, je me pose des questions de jeune blanche éduquée et née dans un pays riche : mais quelle carte d’identité ont-ils ? Quelle nationalité possèdent-ils ? Sont-ils inscrits dans une commune ? Dans quel hôpital se font-ils soigner ? Et surtout, pourquoi on n’en parle pas ? Pourquoi cette « censure » ? Et pourquoi j’étais persuadée qu’il s’agissait d’une population éparse et peu unie ? Est-ce le résultat d’une simple propagande émanant du Maroc dont je suis victime, comme tous et toutes ? Est-ce si facilement résumable ? Je ne trouve pas de réponses à toutes ces questions. Mais j’en reviens à mon point de départ : que fait le Maroc ? Que fait la Belgique sachant que 9% des mines récoltées sont de fabrication belge ? Que fait la communauté internationale ? Et la boucle est bouclée. Et moi, en Belgique qu’est-ce que je peux faire ? M’y rendre, moi aussi comme mes collègues, un jour ? Faire un témoignage ? En parler ? Sensibiliser ? Ou comme en Irlande, faire en sorte qu’on interdise les produits provenant de tous territoires occupés ?En plus de ces questions auxquelles je ne trouve que très peu de réponses pour l’instant, ce que je retiens de ce retour de la mission civile dans les camps sahraouis ce sont les notions de liberté, de dignité et d’unité. L’unité autour d’un projet commun de fonder un État et récupérer un territoire. La dignité dans l’organisation, dans les liens, les habillements, les postures et les prières. Et la liberté qu’a ressenti mon collègue en se sentant libre de rentrer en contact avec chacun d’eux. Mais aussi, la liberté exigée par ce peuple (nomade à l’origine) forcé de se diriger vers le désert, vers une zone non propice à la vie, plutôt que, comme l‘instinct naturel voudrait, vers la mer.