C’est dans cette volonté de lutte contre l’affaiblissement de notre État de droit et de lutte contre la criminalisation d’actes relevant de la liberté d’expression et de manifestation que nous nous sommes entretenus avec Juan Daubresse. Il est membre du collectif « Freedom & Bass » et travaille aux JOC (Jeunes Organisés et Combattifs) de Namur. Il a fait l’objet d’une SAC (Sanction Administrative Communale) et nous raconte son expérience. Celle-ci rappelle, au travers des sanctions administratives communales, la (ré)pression exercée sur les mouvements sociaux.
-Tout d’abord, peux-tu nous dire en quoi consiste une SAC ? « Une SAC est une Sanction Administrative Communale qui peut vous être infligée dès l’âge de 14 ans pour des motifs aussi arbitraires qu’absurdes. Par exemple dans certaines communes vous pouvez recevoir une SAC pour avoir lancé une boule de neige, pour avoir joué au foot sur un terrain de basket ou même pour avoir manifesté sans autorisation… En gros ,c’est une étape de plus dans la criminalisation des mouvements sociaux ou des catégories de la population que le pouvoir juge incontrôlables comme les jeunes ou les précaires. C’est aussi élargir le pouvoir des administrations communales en leur laissant la possibilité de légiférer sur tout et n’importe quoi. C’est digne du shériff de Nottingham. Avec les SAC, on constate clairement la décrépitude de l’état de droit – si un jour il a existé – car la séparation des pouvoirs prend un bon coup dans l’aile. »-Récemment, tu as gagné ton procès de contestation d’une SAC, peux-tu nous en dire plus ? En quoi cette sanction était-elle injustifiée et donc contestable ?« Avec quelques camarades, je fais partie du collectif « Freedom & Bass ». Ce dernier organise des soirées de soutien à des collectifs de luttes contre les violences policières, en soutien à la ZAD, en soutien aux sans-papiers etc. Ces soirées ont lieu à la maison des jeunes de Louvain-la-Neuve qui se situe juste à côté de l’antenne de police.C’est comme ça que lors d’une de ces soirées, vers 4h du matin, alors qu’il pleuvait des cordes des jeunes allèrent se réfugier sous le préau de l’antenne de police. Quelques minutes plus tard, des combis débarquèrent et des policiers effectuèrent un contrôle assez musclé de la demi-douzaine de jeunes présents. Une jeune femme demanda avec insistance à ce que la fouille soit effectuée par un agent de même sexe qu’elle. Pour réponse, elle se retrouva à terre avec deux trois agents qui la maitrisait alors que sa résistance était seulement verbale. Resté en dehors du contrôle, je sortis mon téléphone et commençai à filmer la scène. Ce qui ne plut pas aux agents qui menacèrent également de me contrôler et de me fouiller si je continuais. Prenant du recul par rapport à la scène, je recommençai à filmer car la jeune femme continuait de subir le traitements humiliant des forces de « l’ordre » . Tout en sachant que c’est tout à fait légal de les filmer (par contre c’est illégal de publier les vidéos). Connaissant mes droits et les pratiques policières, un agent me demanda de ne plus bouger et de lui donner mon téléphone. À ce moment je fis quelques pas de recul pour me donner le temps d’éteindre mon téléphone. Je fus contrôlé et fouillé également mais leur chef fut assez contrarié lorsqu’il vit que mon téléphone était éteint et qu’il n’aurait pas la possibilité de supprimer mes vidéos (ce qui est courant mais illégal!). Il répéta plusieurs fois mon nom et prénom pour sous-entendre qu’il irait voir mon profil Facebook afin de vérifier que je ne publie rien. Ce à quoi je rétorquai que si rien d’illégal n’avait été fait lors du contrôle, il n’avait rien à se reprocher car je n’avais aucune raison de publier mes vidéos. Tout cela en lui expliquant également qu’il existait une brochure sur le droit de filmer la police financée par la Fédération Wallonie Bruxelles et que je pouvais la lui montrer. Bref le contrôle se terminant, je repartis à la soirée et cru que l’affaire était classée. Que nenni ! Quelques mois plus tard, je reçus une SAC de la Ville d’Ottignies, Louvain-la-Neuve pour deux refus d’obtempérer justifié car j’avais continué à filmer et deuxièmement car ma position de recul fut considérée comme une tentative de fuite. Ensuit j’ai contesté cette SAC en invoquant le droit de filmer la police, en évoquant la séparation des pouvoirs, en resituant le contexte tout en expliquant bien – comme on le voit sur la vidéo – que je ne gênais en rien le contrôle. Les policiers ayant mis quelques minutes à remarquer ma présence. Suite à mon courrier de contestation de plusieurs pages, la Ville d’Ottignies me répondit, que suite à des considérations qui m’étaient propres [sic] elle maintenait l’amende. Je dus alors faire appel devant le tribunal de police de Wavre qui me donna gain de cause sous prétexte que je n’avais pas à obéir à un ordre illégal car filmer la police fait partie de nos droits de contrôles démocratiques. » -Plus personnellement, comment vit-on cette « expérience » de la SAC ?Elle me laisse un goût amer. Payer cette SAC de 50 euros aurait été plus rapide que de payer la mise au rôle au tribunal (60 euros) et les frais d’avocat (un peu moins de 400 euros). Sans compter le temps et l’énergie que cela m’a pris. J’ai beau être soulagé d’avoir su faire valoir mes droits, autant dire que j’ai des sérieux doutes sur l’accessibilité à la justice. De plus, cela me laisse vraiment l’impression que la police et l’administration ont fusionné pour faire payer les citoyens en criminalisant tout une série de comportements qui ne l’était pas avant. Mon seul réconfort est d’avoir contribué à une jurisprudence qui ne donne pas tout le pouvoir à la police. Et j’espère que la Ville d’Ottignies y pensera à deux fois avant d’être aussi partiale. À la décharge des fonctionnaires sanctionnateurs, ce n’est pas normal que des juristes fassent le travail d’un juge.-Et finalement, y vois-tu un risque de contrôle social ? Si oui, pourquoi ? La commune deviendrait-elle un acteur pénal de premier plan ?Oui très clairement ! L’accroissement de la répression est là et elle est encadrée par la loi car toute commune, par son règlement, prend une fonction législative et judiciaire tandis que sa police embrasse la fonction exécutive. Il n’y a plus de séparations des pouvoirs. Il y a un intérêt double pour le pouvoir communale : faire rentrer de l’argent dans les caisses tout en criminalisant un peu plus des comportements jugés dérangeants. Selon quels critères ? Ceux de la commune. Bienvenue à Nottingham ! De plus, il y a le problèmes de la double peine. Quelqu’un volant un pull dans un magasin peut être poursuivi pour vol devant la loi mais également recevoir une SAC en fonction du règlement de sa commune. Par les SAC, « la démocratie » représentative a fait un pas de plus vers l’autoritarisme et l’état policier. Certains militants reçoivent déjà des SAC pour avoir manifester sans autorisations, certains les payent et d’autres pas. Ces derniers n’ont pour l’instant pas eu de suite mais il y a de quoi refroidir des manifestants potentiels. L’absence de poursuite est peut-être la preuve que certaines SAC ne respectent pas la Constitution ? Je l’espère. En tout cas les SAC sont bel et bien à ranger dans les mesures liberticides les plus fourbes sorties ces dernières années. Merci Joëlle Milquet ! »Juan Daubresse