Depuis plus de 30 ans en Europe, chaque fait présenté comme terroriste provoque une réaction des pouvoirs publics qui se traduit par l’aggravation des lois pénales et de la répression. Bien que ce soit présenté avec un objectif démocratique de lutte contre le terrorisme, l’Etat de droit démocratique est décortiqué, le niveau de garantie du citoyen est abaissé face au pouvoir répressif et in fine le caractère démocratique du régime est de moins en moins assuré.

Le point de départ de cette réflexion est de se demander si la notion du « terroriste » est limpide? Car au-delà de la construction populaire du « terroriste » on constate que le terrorisme sert aussi des pratiques répressives qui existent indépendamment de lui et qui trouvent l’occasion de s’affirmer dans cette conjoncture. Ne sommes-nous pas dans un cercle vicieux d’une surenchère répressive à la violence terroriste qui répond à la violence répressive agressive qui répond à la violence terroriste, … Et qui ne s’arrête jamais ?

1)         Pourquoi aujourd’hui la notion et en particulier la partie juridique du terrorisme contribue à accroître l’arbitraire du pouvoir répressif et n’a aucune justification du point de vue de la partialité juridique et de l’efficacité de la répression dans nos sociétés démocratiques ?Il n’existe aucune définition internationale de l’infraction terroriste. Chaque Etat à sa propre définition. Pourquoi ? C’est parce qu’en réalité le phénomène étant appréhender par la notion juridique de « terroriste » n’est pas réductible à une catégorie juridique.

Pourquoi ?

Petit rappel :Selon la déclaration des droits de l’Homme la liberté est un principe. Les pouvoirs publics ne peuvent incriminer ou prendre des mesures de coercition ou de contrainte envers quelqu’un que si c’est nécessaire, d’où le principe de nécessité. Le législateur doit justifier pourquoi un acte en lui-même est problématique et pourquoi la coercition est utilisée pour le faire cesser.

L’infraction terroriste en droit français et européen est une infraction dérivée. C’est une infraction de droit commun en France, il existe une liste de faits qui peuvent être qualifié de terroriste. Ça peut-être des infractions d’homicides, de séquestrations et de destructions. En quoi est-elle terroriste ? C’est lorsqu’elle est commise en en relation avec une entreprise individuelle ou collective, et qui a pour but de troubler gravement l’ordre public par la terreur. C’est ce qui fait balancer l’infraction dans la dimension terroriste. Un critère malléable et subjectif.

La première objection qu’on pourrait donner, c’est « attendez, une infraction terroriste ce n’est quand même pas pareil , il y a des exemples frappants : l’attentat de Bruxelles n’est pas la même chose qu’un homicide dans une bagarre. Ce type de fait est organisé, structuré, et il y a une logistique ». C’était d’ailleurs la justification de la première loi contre le terrorisme en 1986 en France. Il y a eu en 1982-1983-1984 des actions directes, des attentats antisémites et il fallait un cadre juridique adapté à ce type de fait.

C’est une question de procédure pénale, ce n’est pas une question de définition de l’infraction. Or il y a une autre notion qui s’applique de manière pertinente à ce type de fait sans rentrer dans la notion de terrorisme. C’est la notion de délinquance organisée. Selon la définition des Nations Unies, une bande organisée est une alliance d’au moins trois personnes, structurée dans le temps et dans l’espace et qui est constituée dans un but quasi-exclusif de commettre des infractions. Des éléments plus tangibles que le fait de vouloir intimider gravement un public par la terreur. Dans la plupart des pays européens il y a des moyens d’investigation adaptés à ce type de fait : on peut faire des écoutes téléphoniques plus importantes, surveillance d’ordinateur à distance, … Tous les instruments sont réunis, sans avoir besoin de dire que c’est du terrorisme. Il suffit de dire que c’est de la criminalité.Après on va vous dire : « Oui mais c’est très grave », l’attentat du métro de Bruxelles, l’attentat du Bataclan ou de Nice… Ce sont des faits parlant. Mais 95% des infractions terroristes n’ont aucune de ses dimensions là. Et au nom de quoi peut-on dire qu’une personne qui est victime d’un acte terroriste, c’est moins grave qu’une victime d’un acte mafieux ? Qui est-on pour dire qu’une vie humaine en vaut plus qu’une autre ? Un meurtre, quel que soit le motif, il faut qu’il soit jugé de la même façon. Par contre on va vous dire qu’il y a un caractère massif (une centaine de mort au Bataclan, des dizaines à Bruxelles) effectivement il y a un caractère massif, mais il y a un autre outil juridique qui permet de saisir le caractère massif de manière préméditée. C’est le crime contre l’humanité. Les attentats de New York et les attentats de Londres sont susceptibles de rentrer dans la catégorie de crime contre l’humanité.

Le crime contre l’humanité « quézaco » ?

C’est le fait de viser en tant que tel une population de manière organisée et de manière structurée. Dans le contexte des attentats :

  1. Ce sont bien des civils qui sont ciblés en tant que population civile et parce que ce sont des populations civiles appartenant à un Etat considéré comme l’ennemi de ceux qui peuvent commettre ces faits-là.
  2. Il y a un caractère massif et on va avoir une organisation qui rentre dans cette catégorie. Soit on est dans un état d’homicide simplement motivé par un objectif idéologique, et encore une fois au nom de quoi cette infraction serait plus grave que sur une autre personne ? Soit dans des faits de masse, et là on peut envisager d’appliquer la catégorie de crime contre l’humanité pour justement montrer en quoi ces faits sont particulièrement graves. Donc là encore l’infraction terroriste n’a encore aucune nécessité juridique. Qu’est ce qui reste ? le fait de vouloir troubler gravement l’ordre public par la terreur et c’est la seule spécificité de l’infraction terroriste.

En droit pénal, on distingue l’intention du mobile. L’intention c’est le fait d’avoir conscience de son geste et conscience qu’on a pas le droit de le faire. Si je m’empare du carnet de mon voisin, et quel que soit la raison pour laquelle je m’en empare j’ai conscience qu’il ne m’appartient pas et qu’on soit en France ou en Belgique, on ne peut pas voler le bien d’autrui. Ça c’est l’intention.

Le mobile c’est la raison plus profonde qui comprend le fait, « c’est parce que je le trouve joli ou parce je suis cleptomane », il peut y avoir plein de mobiles différents. Connaître le mobile de quelqu’un est extrêmement difficile car ils sont souvent les faits avec une dimension passionnelle. D’autant plus vrai que 95% des infractions terroristes subies ne sont pas des infractions où il y a eu des morts, ce sont des infractions d’associations de malfaiteurs c’est-à-dire qu’on va juger et condamner des gens à partir de la préparation qui peut être à un stade précoce d’actes potentiellement terroristes. C’est-à-dire qu’il y a des gens qui vont vaguement préparer un jour le posage d’une bombe mais qui seront loin du passage à l’acte, dans le cadre dans la préparation. Comment qualifier ce fait qu’on aurait commis un acte et troubler gravement l’ordre public par l’émission de la terreur. C’est vraiment quelque chose qui est extrêmement difficile à caractériser, et caractériser un crime de terroriste ou pas terroriste ça relève en dernière analyse du fait du prince, c’est-à-dire l’arbitraire du pouvoir répressif.

Pour prendre quelques exemples, il n’y aucunes raisons juridiques qui justifient qu’on va qualifier terroriste une attaque un bureau de poste à Ajaccio, en Corse. Mais par contre on ne va pas considérer « terroristes » les agriculteurs qui en Bretagne vont saccager la préfecture, ou des pilonnes (dont le prix unitaire était d’un million d’euros). Pourtant, ce fait rentre dans les définitions du terrorisme, c’est vraiment une dégradation volontaire en réunion commis dans le but d’intimider les pouvoirs publics et ceci a été fait pour ne pas avoir remis l’écotaxe. Pourquoi pas terroriste ? Uniquement pour les raisons du fait du prince, c’est à dire des raisons politiques, économiques, … Les agriculteurs ne sont pas terroristes.

Et si demain en France notamment on a un gouvernement pas très soucieux de l’Etat démocratique qui monte au pouvoir il pourra tout à fait, avec les textes qui existent actuellement, poursuivre des mouvements sociaux, des syndicats, des associations… 

Aujourd’hui si ça ne se passe pas, c’est parce que il reste une culture démocratique mais rien ne l’interdit juridiquement. Même dans l’hypothèse, on est dans des faits qui ont objectivement pour effet d’intimider gravement l’ordre public par l’organisation de la terreur. Je parle des faits de massacre qu’on a connu ces deux dernières années, et bien l’arbitraire demeure parce que il faut se souvenir que le terrorisme qui est dans sa version moderne (apparu +- au XIXème siècle ayant notamment comme fonction de disqualifier comme criminel des organisations politiques fussent-elles des organisations politiques violentes et donc on se retrouve dans une situation ou le fait de qualifier un mouvement violent, qui est mouvement d’opposition armés comme terroriste ou pas terroriste la aussi c’est fait arbitraire).

Pour prendre un exemple en France : la période où il y a eu le plus d’attentats terroristes c’est entre 1940 et 1944 et c’était les résistants. Ils rentraient également dans la définition actuelle du terrorisme sans aucun problème.

Comme l’affaire de « Tarnac », l’histoire de jeune anarchiste en Corrèze qui avaient été poursuivi pour terrorisme (la cour de cassation a revu le jugement mais ont été considéré jusqu’au bout comme des terroristes), pour avoir commis des dégradations en réunion. Ce qui ne justifie pas le traitement qui leur a été fait. Cela dit nous avons un basculement dans la criminalité qui elle est totalement arbitraire, traduit une version un peu moderne qui s’appelle l’excuse de gravité et qui est un mécanisme qu’on observe depuis l’avènement du droit pénal moderne ou tout en faisant mine d’accepter les grands principes proclamés sous la révolution française « égalité – mesures de répression – proportionnalité » on va essayer de les contourner ou les suspendre en invoquant la gravité des faits en disant « on est d’accord sur l’aspect général mais sauf si c’est grave » avec tout l’arbitraire que ça implique.

Et le terrorisme permet de justifier l’amenuisement général des garanties du conseil pénal. Voilà à quoi sert le seul effet juridique du terrorisme, c’est accroître les « statut quo » répressif sans aucune nécessité à avoir cette incrimination pour lutter contre le phénomène qu’on prétend combattre, et le problème c’est que ça n’a aucune efficacité sur le traitement de la question et en plus ça va amoindrir l’efficacité de la réponse apportée à ces phénomènes sur le plan strictement criminel.


L’idéologie sécuritaire étend sans fin le champ du pénalement répréhensible. Cette escalade conduit pourtant à une paradoxale impuissance répressive.

Par Vincent Sizaire, Magistrat, maître de conférences à l’université Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, auteur de Sortir de l’imposture sécuritaire, La Dispute, Paris, 2016.

Conférence terrorisme et ses mots : 24 mars 2017

Ecouter la conférence : c’est par ici

One thought on “Le terrorisme, une situation juridique qui ne résout rien

  1. de Vroom Christian dit :

    Je suis d’accord en grande partie avec votre analyse et il est un fait que les libertés diminuent avec des lois et des mesures de plus en plus répressives mais de là à dire que les résistants len 40-45 étaient des terroristes, il y a une marge. Nos pays étaient envahis et en guerre et les résistants défendaient leur pays. Tandis que les terrorirstes actuels ont été accueillis dans des pays en paix. Beaucoup d’entre eux étaient lettrés avaient du travail et des indemnités. Une récente études indiquent comme je le dis depuis de nombreuses années qu’ils étaient au départ des délinquants. Il entre dans la mission de l’Etat de droit d’assurer la sécurité des citoyens. L’autre face de ces actes criminels est la montée du fascisme et de dirigeants totalitaires, ce qui est un danger pur la société

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